Tribune
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Publié le 7 Septembre 2012

Le spectre d'une guerre contre l'Iran hante la campagne américaine

Par Maxime Perez, Journaliste indépendant, basé à Jérusalem, spécialiste des questions de défense

 

Peut-on réellement compter sur les Etats-Unis pour empêcher l'Iran de devenir une puissance nucléaire ? En Israël, cette question revient sur toutes les lèvres depuis quelques jours ; elle agite la plume des commentateurs qui ne se lassent pas d'alimenter un énième débat public sur cet épineux dossier. Sauf que cette fois, le ton est circonspect, teinté d'inquiétude. Il traduit à l'évidence la crise de confiance vécue par les responsables de l'Etat hébreu, Benyamin Netanyahou en tête, surpris de constater que leur sacrosainte alliance avec les Américains vaut pour le meilleur, mais pas nécessairement pour le pire.

Le pire, c'est une guerre contre l'Iran, où plutôt pour commencer une attaque contre ses installations nucléaires, susceptibles d'embraser tout le Moyen-Orient en quelques heures. Déluge de missiles contre les villes israéliennes et bombardement des bases américaines dans le Golfe, blocus du détroit d'Ormuz et hausse vertigineuse des prix du baril de pétrole, réveil du Hezbollah libanais et de cellules islamistes dans le Sinaï égyptien, peut être même à l'étranger ; c'est ce scénario apocalyptique, mais réaliste que souhaite s'épargner le président Barack Obama, au moins jusqu'à novembre, date des élections américaines.

 

Refusant d'être pris au dépourvu en pleine campagne électorale, le candidat démocrate tente donc par tous les moyens de refroidir les ardeurs israéliennes. Pour y parvenir, rien de plus efficace que d'envoyer au front son chef d'état-major, Martin Dempsey, dont la stature semble parfaite pour dissuader l'Etat hébreu de se lancer dans une expédition militaire aux résultats plus qu'incertains. "Israël peut clairement retarder le programme nucléaire iranien, mais certainement pas l'anéantir", a martelé le général Dempsey avant d'enfoncer le clou, la semaine dernière, en affirmant ne pas vouloir être "impliqué" dans une action israélienne. Et si le message n'était pas clairement parvenu à tous les belligérants, les Américains se sont empressés de le transmettre aux Iraniens, via des canaux diplomatiques européens. Pas sûr, néanmoins, que cette realpolitik suffise à les protéger d'une riposte de Téhéran.

 

Ce désengagement, verbal pour l'instant - l'imposant dispositif naval américain autour du Golfe persique restant intact -, a fini par semer le doute dans l'esprit des Israéliens. Les voilà surtout, malgré eux, impliqués dans la course à la Maison-Blanche. Elle se rajoute à celle déjà enclenchée contre la "bombe iranienne". L'opinion s'interroge : qui de Barack Obama ou de Mitt Romney sera plus à même de défendre les intérêts d'Israël ?

 

A des milliers de kilomètres du Proche-Orient, la campagne américaine a beau se jouer sur l'économie et l'avenir des classes moyennes, c'est sur la politique étrangère que cherchent à se démarquer de plus en plus démocrates et républicains. En Pennsylvanie ce week-end, le vice-président sortant Joe Biden n'y est pas allé de main morte en accusant Romney de vouloir précipiter son pays dans un conflit contre l'Iran et la Syrie. Sa remarque est soigneusement calculée : d'une part, elle joue sur la corde sensible, en ravivant le douloureux spectre d'une décennie de guerre en Irak et en Afghanistan - plus de 6.500 soldats américains y ont laissé leur vie jusqu'ici - ; de l'autre, elle vise à discréditer d'emblée le candidat républicain en le présentant comme le digne héritier de Georges W. Bush et des néo-conservateurs américains.

Certes, la première tournée internationale qu'il a menée cet été, ponctuée d'impairs diplomatiques, ne plaide pas en faveur de Mitt Romney. Mais lors de son passage en Israël, l'ancien gouverneur du Massachusetts a parfaitement su prendre Barack Obama à contre-pied. Tandis que le président américain paraphait en grande pompe, le 27 juillet, un nouveau pacte de coopération sécuritaire avec l'Etat hébreu, Romney, arrivé à Jérusalem le même jour, se distinguait en laissant l'un de ses proches conseillers chuchoter à la presse israélienne qu'il donnerait son "feu vert" à une attaque contre l'Iran.

 

Républicain de cœur et ami de longue date de Mitt Romney, le premier ministre Benyamin Netanyahou refuse toute ingérence partisane dans l'élection américaine. Pourtant, ses relations avec Barack Obama, qui ne s'est jamais rendu à Jérusalem au cours de son mandat, sont aujourd'hui largement empreintes de méfiance. Au sein même de sa coalition, plusieurs ministres issus de la mouvance nationaliste-religieuse ont érigé le président sortant américain en "ennemi du peuple juif" pour avoir poussé l'Etat hébreu à des concessions avec les Palestiniens. Cette animosité latente a été finement exploitée par Romney, soucieux de s'attirer les voix du puissant électorat chrétien évangélique, adepte du Grand Israël biblique : "Je ne peux pas imaginer me rendre à l'ONU, comme l'a fait Obama, et critiquer mon allié à la face du monde. Israël mérite un meilleur président que lui", avait-il lâché.

 

Malgré l'impopularité que lui coûterait dans l'opinion américaine une guerre contre l'Iran, Mitt Romney ne semble pas prêt à adoucir sa rhétorique. A Tampa, en Floride, où s'est tenue la convention républicaine la semaine dernière, il a de nouveau fustigé la politique étrangère de Barack Obama, en l'accusant de "jeter ses alliés, dont Israël, sous les roues de l'autobus". Contraint de prendre son mal en patience, Netanyahou vient d'exiger du président démocrate qu'il adopte une "ligne rouge claire" face à la République islamique, suggérant même un ultimatum dans les négociations. Le chef du gouvernement israélien a peut-être compris que lancer son armée, sans appui américain, dans un conflit total contre l'Iran et ses alliés régionaux, relève du suicide. Jamais pour lui, l'arrivée de l'automne n'a semblé aussi longue.

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