Tribune
|
Publié le 4 Mai 2016

Les Français n’ont jamais été aussi tolérants (étude de la CNCDH). Qu’en penser ?

"On peut craindre que cet excès d’optimisme, légitimé par des analyses techniques sophistiquées, ne provoque une baisse de la nécessaire vigilance face au racisme, à l’antisémitisme et à la xénophobie".

Par Marc Knobel, Historien, chercheur, directeur des Etudes au CRIF, publié dans la Revue Civique le 4 mai 2016
 
Historien, chercheur, directeur des Etudes au CRIF, Marc Knobel tient à relativiser dans ce texte l’optimisme qui peut découler d’une étude commandée par la CNCDH (Commission nationale consultative des Droits de l’Homme), selon laquelle les indices de tolérance (notamment vis-à-vis de la diversité, des origines ethniques et culturelles) progressent dans l’opinion française. « Une analyse hâtive officialiserait en effet l’impression que la société française refuse les amalgames et  » valorise effectivement l’acceptation de l’autre  », selon les conclusions de la CNCDH. On peut craindre que cet excès d’optimisme, légitimé par des analyses techniques sophistiquées, ne provoque une baisse de la nécessaire vigilance face au racisme, à l’antisémitisme et à la xénophobie », écrit Marc Knobel.   
 
Surprise : « les Français n’ont jamais été aussi tolérants et prêts à penser leur pays comme multiculturel », rapporte le quotidien Le Monde, du 2 Mai 2016. Curieux. Le Monde commente pourtant les résultats d’un sondage de la CNCDH. De quel sondage s’agit-il ? Ce point est l’enseignement majeur du rapport 2015 sur le racisme de la CNCDH. « Après quatre années d’affilée de baisse, suivie d’une stabilisation, l’indice longitudinal de tolérance en France marque en 2015 une nette progression vers plus de tolérance, après avoir pris ce chemin plus discrètement en 2014 déjà », rappelle sa présidente, Christine Lazerges.
 
Qu’est-ce qui étayerait une telle conclusion ?
 
Le fameux indice longitudinal de tolérance… Mais qu’est-ce donc que cela ? Il s’agit d’un baromètre élaboré en 2008 par le sociologue Vincent Tiberj, associé au Centre Emile Durkheim de Sciences Po Bordeaux, à partir d’une batterie de soixante-neuf questions. Cet indice, affirme le sociologue, a « pour objectif de mesurer de manière synthétique et rigoureuse les évolutions de l’opinion publique à l’égard de la diversité avec une mesure comparable dans le temps depuis 1990 »… La CNCDH, suivi par la plupart des journalistes, semble avoir cru le sociologue. Il est vrai que l’indice longitudinal de tolérance, par sa technicité, ne se prête guère à une discussion entre citoyens ordinaires. Sa scientificité suffit à l’imposer aux non spécialistes.
 
Ledit indice est censé permettre de mesurer l’opinion publique en matière de racisme, d’antisémitisme et de xénophobie, précise-t-il.
 
Revenons sur la méthodologie adoptée 
 
La CNCDH a mené une enquête qualitative sur l’état de l’opinion, du 4 au 11 janvier 2016, réalisée par l’institut IPSOS. Les résultats ont été analysés par les chercheurs Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj et Tommaso Vitale. Les enquêteurs ont posé 69 questions, en face à face, à un panel de 1.015 personnes. C’est ainsi que nous apprenons que l’indice de tolérance augmente de 5 points. Cette progression était déjà perceptible en novembre 2014 et en mars 2015. Elle s’est donc confirmée lors de la dernière vague du baromètre réalisée en janvier 2016 (+ 5 points).
 
Précisons les données. Le score de 64 points enregistré en 2015 fait d’elle la deuxième meilleure année au top 5 des plus tolérantes depuis vingt-six ans, selon la CNCDH. Cette échelle de tolérance qui vient de grimper de 10 points depuis 2012 a atteint 66 en 2007-2008 mais était tombée à 49 en 1990, rapporte Le Monde.
 
Une France plus tolérante ?
 
Selon Christine Lazerges, la présidente de la CNCDH, citée par France Inter (2 mai 2016), les attentats ont provoqué un « choc émotif », avec un refus des amalgames : « Il y a eu une sorte d’intériorisation que nous étions tous responsables de la montée du radicalisme ». « Cela tient sans doute à la manière dont les pouvoirs publics, les églises, les syndicats, les partis politiques et les médias ont réagi tout de suite après Charlie. Par ailleurs, les psychologues nous disent que quand on a de grosses émotions comme celles des attentats, cela nous oblige à remettre en cause nos idées reçues, on se remet à réfléchir.  La troisième piste, c’est qu’il se passe quelque chose à droite, avec une régression des crispations identitaires », résume Nonna Mayer, politologue citée par la même station.
 
D’autres explications sont évoquées, parce que les attentats qui ont frappé la France n’expliquent pas à eux seuls ces résultats. C’est ainsi que la CNCDH évoque justement le « recentrage » d’une partie de l’électorat de droite, en progression de 9 points. Chez ces électeurs, le niveau de tolérance dépasse le niveau record atteint en 2009, mais reste plus faible que celui des électeurs de gauche.
 
Du côté de l’extrême droite, l’analyse montre que près de 9 sympathisants et électeurs sur 10 estiment les réactions racistes justifiables. Et ce, alors que la mobilisation contre le Front national en 2015 fait partie des pistes envisagées par les chercheurs pour expliquer la hausse de la tolérance en France... Lire l'intégralité.