Tribune
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Publié le 28 Juillet 2014

Lettre de Jérusalem

Par Francine Kaufmann

Je reviens de chez mon frère où j'ai passé Shabbat : je voulais voir mon neveu d'Achdod qui s'est "réfugié" chez ses parents après avoir passé la première semaine sous une pluie de roquettes : sa femme est lourdement enceinte, ils ont 4 enfants, l'aînée ayant 7 ans. Impossible en quinze secondes de les rassembler, surtout s’il faut les réveiller quand ils dorment.

Ils ont été très marqués par les alertes et les boums, surtout le tout petit qui sursaute encore au moindre bruit. Il y a pourtant eu vendredi deux alertes dans le quartier de mon frère à Bné Brak (dont une quand je suis arrivée pour le dîner), mais la vie quotidienne y est moins éprouvante qu'à Achdod et, en général, dans le sud d’Israël.

À Jérusalem, la vie est redevenue plus ou moins normale, après 4 ou 5 alertes les premiers jours, sauf le vrombissement des hélicoptères de surveillance et parfois l’écho de « boums » inquiétants qui semblent si proches. Habitant Talpiyot, face à des villages arabes, j'entends des tirs de joie et des feux d’artifice chaque fois que des soldats israéliens sont tués ou que court une rumeur (enlèvement d’un soldat) ou une « bonne nouvelle » (fermeture de l’aéroport Ben Gourion).

Et puis, comment travailler et vivre normalement lorsqu’on attend des nouvelles d’amis ou d’enfants d'amis qui sont au front, comment éviter d'écouter les informations à la radio et de suivre les émissions de télévision, du soir jusque tard dans la nuit, pour essayer de comprendre ce qui se passe autour de nous, au fil des commentaires et des reportages croisés des diverses chaînes ...

Grâce à mon antenne parabolique, je capte TV5, France 24, Euronews et la BBC.

Je vois les manifestations pro-palestiniennes haineuses à travers le monde et les reportages sur notre région : enfants blessés ou morts de Gaza, pères et mères désespérés, pilonnés par notre aviation ou nos chars. Mes entrailles se retournent, d'abord de compassion humaine et juive pour ces malheureuses victimes. (Ne retire-t-on pas lors du Seder de Pessa’h une goutte de vin de nos verres pour chaque plaie envoyée sur les Égyptiens de Pharaon ? Car comment se réjouir de la douleur et de la mort de ses ennemis ?). Puis aussi parce que j'ai le sentiment que les médias n’exposent  pas clairement la situation à l’étranger : ils se contentent de comparer le nombre de morts et de blessés pour décider qui est le monstre et qui est la victime. Ils mettent en parallèle les images d’avions et de chars israéliens (beaucoup d’acier) et les visages et corps dévastés de la population martyrisée (où sont les combattants du Hamas ?). Ils ne rapportent qu’incidemment ce que vivent nos propres civils, essentiellement dans le sud du pays, nos enfants énurétiques et perpétuellement aux aguets, nos agriculteurs qui cultivent le désert sous la menace sporadique de tirs de mortiers ou de missiles, nos handicapés et nos vieillards, nos femmes enceintes et chargées d’enfants, qui n’ont pas la possibilité d’atteindre en quinze secondes les abris ou les cages d’escalier, bref notre population civile attaquée depuis 2001 par des roquettes dévastatrices et des missiles de plus en plus sophistiqués, souvent délibérément et stratégiquement stockés et tirés de l'intérieur de maisons, d’écoles (y compris celles de l’ONU), d’hôpitaux, de mosquées, d’ambulances... pleuvant par centaines depuis le déclenchement des récentes hostilités (avant même le début de la guerre). Ne faisons-nous pas face à un territoire dirigé par un mouvement terroriste, dont les lois de la guerre ne sont pas celles du monde occidental ?

Et que dire de ce que d’aucuns nomment la « Gaza d’en bas », cet enchevêtrement d’énormes tunnels plongeant jusqu’à 25 mètres sous terre, sous la ville d’en haut, avec des embranchements et des dizaines de puits d'aération et de tir, dont les extrémités aboutissent, souvent après 2 ou 3 kilomètres de parcours, en territoire israélien, sous les pieds de la population civile ou à l’intérieur d’une base militaire ? Les premiers sont actifs depuis 2006 (et ont servi, notamment, à l’enlèvement de Guilad Shalit). Il ne s’agit pas des galeries de contrebande qui permettaient un trafic à partir de l’Égypte, trafic lourdement taxé par le Hamas. Ces galeries ont été détruites par les Égyptiens. Les tunnels offensifs sont clairement destinés à semer la terreur en Israël. Ils permettent aussi aux chefs politiques et militaires du Hamas de se réfugier sous terre (quand ils ne vivent pas à l'étranger), et aux commandos terroristes de vivre cachés et de se préparer à surgir, en temps opportun, déguisés grâce à des uniformes israéliens, aux portes des kibboutzim et des villages frontaliers pour y perpétrer un méga-attentat ou des enlèvements spectaculaires. Ces tunnels, dont l’ouverture et le point de départ sont implantés dans la bande de Gaza dans un immeuble de la ville, dans un verger de la bordure frontalière, ont été construits par des ingénieurs spécialisés au fil des années. Ils ont coûté plusieurs dizaines de millions de dollars. Les plus grands sont entièrement bétonnés et cimentés, souvent équipés (eau, électricité, téléphone, etc.) pour permettre d’y vivre de longs mois sous terre, d’y enfermer des otages, de stocker des armes. Les propriétaires des immeubles ou des vergers ont été grassement dédommagés : voilà où va l’essentiel de l'aide humanitaire envoyée aux Palestiniens de Gaza (sans parler du milliard de dollars annuel versé par l’UNWRA aux réfugiés palestiniens de 1948 et à leurs enfants et petits-enfants). Une aide qui devrait faire fleurir l'économie gazaouie, développer  ses infrastructures, permettre la construction d’abris et de chambres blindées pour la population. Comment s'étonner alors que des civils gazaouis soient tués malgré les avertissements précis de notre armée avant les frappes, SMS, annonces par haut-parleur, appels téléphoniques, moyens destinés à remplacer les sirènes d’alerte délibérément inexistantes à Gaza ? Il est vrai que le Hamas dissuade les civils de quitter leur appartement : « une maison abandonnée est une maison bombardée. Une maison occupée est une maison sauvée » proclament-ils. D’où ces images surréalistes de civils massés sur le toit au lieu d’évacuer un immeuble marqué comme cible parce qu’il sert d’arsenal, de centre de tir, de QG, et ces témoignages sur des combattants armés partant à l’attaque des Israéliens, leur enfant dans les bras ! Le Hamas exploite cyniquement et savamment le code éthique, le respect de la vie qui prévaut, même en temps de guerre, dans les rangs de l’armée israélienne, dont les missions sont annulées quand des civils « non impliqués » (bilti me’oravim) sont aperçus aux côtés des tireurs de missiles. Il y a, certes, de terribles dommages collatéraux. Mais ils existent des deux côtés : une centaine de roquettes lancées par les Palestiniens ont fait long feu et sont tombées sur le territoire de Gaza, ou ont atterri sur des villages bédouins ou arabes d’Israël, faisant des morts et des blessés, tandis que plusieurs soldats israéliens ont été tués par nos propres troupes qui les ont pris pour des ennemis. Il faudra donc attendre la fin de la guerre pour essayer de savoir quels sont les chiffres avérés des victimes civiles palestiniennes tuées par Israël, car il est clair que les morts ‘civils’ de Gaza sont en grande partie des combattants puisque le Hamas n’est pas une armée en uniforme, mais une bande de guérilleros, vêtus la plupart du temps en civils. L’on saura alors s’il y a vraiment eu « massacre », « génocide » ou si le bilan sera plus limité, comme à l’époque de la bataille de Jénine, qui suivit en 2002 l’attentat si meurtrier de l’hôtel Park, à Netanya : de semblables accusations avaient été proférées (on parlait d’un nouveau ghetto de Varsovie, de centaines de morts civils et d’une ville rasée), avant que Human Rights Watch et le Secrétariat des Nations Unies ne fassent état de 52 morts dont 22 civils non impliqués et d’un quartier limité du seul camp de réfugiés éradiqué (160 maisons détruites autour des QG du Djihad islamique et de ses comparses).

Pour sa part, Israël a réduit ces dernières années le budget offensif de son armée pour mieux renforcer les budgets de la défense civile : développement des batteries antimissiles (Dôme de fer) et des abris publics, exercices de défense passive, lois déjà anciennes qui exigent la construction d’une chambre blindée dans tous les nouveaux immeubles, consignes sévères concernant le travail, les études, les déplacements en période d’attaque du territoire, découpage des régions en zones d’alerte, avec une multiplication des moyens : sirènes, annonces vocales à la radio, visuelles (écrites) à la télévision, réseaux sociaux, lignes et pôles de soutien (multilingue), solidarité sans faille qui fait que les gens du nord invitent ceux du sud à habiter chez eux tant que dure le danger, que les quartiers voisins des hôpitaux accueillent les familles des soldats blessés : voilà ce qui explique le nombre si faible de victimes civiles israéliennes (malgré d'énormes dégâts matériels et, surtout, les coups portés à notre économie). Et pourtant, pendant que nos soldats risquent leur vie pour essayer de détruire l’infrastructure terroriste et pour nous donner un répit aussi long que possible, une partie des Israéliens manifeste pour la paix et l’arrêt des combats. Est-ce de l’angélisme quand on sait que la charte du Hamas et que ses représentants appellent à la destruction d’Israël dont ils ne reconnaissent pas l’existence ? N’est-ce pas plutôt un sentiment de compassion humaine (« Ne te réjouis pas quand tes ennemis tombent », dit la tradition juive) et de foi dans l’avenir ? En tout cas, à l’heure où les extrémistes de tous bords vocifèrent, s’insultent, et font brutalement taire ceux qui ne pensent comme eux, il faut lutter entre gens honnêtes pour garder la tête froide et respecter toute dignité humaine, la sienne comme celle d’autrui.

Francine Kaufmann est Professeur émérite de l’université Bar Ilan et ancienne journaliste de Kol Israël en français et de R.C.J., sur la fréquence juive à Paris.