Tribune
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Publié le 27 Avril 2016

Mais c’est bien sûr : le djihadisme, c’est la faute à la laïcité!

Les errements de la théorie de la "French connection".

Par Régis Soubrouillard, publié dans Causeur le 25 avril 2016
 
Sur les réseaux sociaux, notamment dans les rangs islamo-gaucho compatibles, certains ont adoré simplifier encore plus le propos déjà bien peu étayé des auteurs, William McCants et Christopher Meserole de la Brookings Institution, un prestigieux centre d’études américain. Pensez-donc ! La "culture francophone" et une "laïcité agressive" présentés comme facteurs clés de la radication islamiste.
 
Du pain bénit pour ceux qui pensent, dans une pratique inversion des rôles, que la France serait seule responsable, sinon la véritable coupable de ce qui lui arrive ! Ainsi, tout en relativisant quelque peu la thèse des auteurs, le site Slate a tout de même aimé voir dans cette thèse d’une laïcité utilisée dans un "sens guerrier"» qui viendrait nourrir le djihadisme l’amorce d’un débat salutaire — dixit la journaliste.
 
L’étude originelle, lourdement titrée "The french connection", ambitionnait d’expliquer le militantisme sunnite dans le monde entier en démontrant que les phénomènes de radicalisation étaient bien plus massifs au sein des sociétés francophones européennes et extra-européennes. En cause donc, une approche de la laïcité qualifiée de "virulente" ou "incisive" et une jeunesse urbaine sous-employée...
 
L’ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, a dénoncé l’absurdité du propos et l'a qualifié, dans un tweet, d’"insulte à l’intelligence"... 
 
Le listing détaillé de 5 000 combattants de l’Etat islamique récupéré début mars par la chaîne NBC News via un ancien membre de l’organisation terroriste permet également de relativiser la "francophonie" supposée des combattants de l’EI. Sans surprise, les plus proches voisins de la Syrie et de l’Irak sont surreprésentés.  L’Arabie saoudite arrive en tête avec 579 djihadistes recensés. La Turquie est quatrième avec 212 combattants. Avec le Moyen-Orient, le Maghreb est la région qui fournit le plus grand nombre de djihadistes : la Tunisie (559), le Maroc (240) et la Libye (87) sont tous dans le top 10 des nations les plus représentées. Poursuivant leur raisonnement, les auteurs auraient peut-être également pu ajouter le Qatar qui affiche un nombre de départs de combattants par millions d’habitants équivalent à celui de la Palestine. Un phénomène lié à l’entrée de l’Emirat dans l’Organisation internationale de la francophonie en 2012, auraient dit nos deux chercheurs...
 
La Chine, ce grand pays de "culture francophone"
 
Et puisque les auteurs cherchaient par leur théorie à tenter d’expliquer « le militantisme sunnite dans le monde entier », démontons-le par l’absurde ! Certains ont trouvé surprenant la présence de la Chine à la 7e position de ce classement, avec 138 ressortissants. Rapporté à la population chinoise totale, le chiffre est dérisoire, mais il devient très important, inquiétant même, quand on le compare à la population musulmane chinoise estimée à 23 millions d’habitants dont une importante minorité de Ouïghours, minorité musulmane sunnite établis dans la région du Xinjiang, réprimée par Pékin. Fin 2015, pour la première fois l’Etat islamique a diffusé sur les réseaux sociaux un chant islamique en mandarin adressé aux musulmans de l’Empire du Milieu, les appelant à prendre les armes.
 
On ne sache pas que Pékin soit connu pour sa francophonie, en revanche, on accordera aux chercheurs que la conception chinoise de la « laïcité » — concept inconnu en Chine qu’on traduira par la notion de « liberté religieuse »… — est quelque peu autoritaire puisqu’elle relève de la répression systématique des religions ou courants religieux non contrôlés ou autorisés par le parti communiste. De là à la comparer avec la laïcité française.
 
Sans exclure des causes spécifiques au djihad français, tenter d’entrevoir un axe djihadiste francophone allant de Paris à Molenbeek, en passant par Tunis, tout en s’autorisant un détour par Beyrouth, relève de la pure spéculation. Il faudra que nos chercheurs… cherchent encore, car leurs conclusions hâtives montrent surtout combien aujourd’hui la laïcité française reste un « impensé » américain et sert de bouc émissaire confortable quand il s’agit d’expliquer grossièrement toutes les tensions communautaires et religieuses... Lire l'intégralité.
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