Tribune
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Publié le 3 Avril 2012

Obscénité littéraire au Monde

Par Jacques Tarnero

 

Le sang des victimes du tueur de Toulouse est à peine sec que déjà une certaine littérature s’est emparée de l’événement, non pas pour le penser, mais pour s’en parer…comme si Mohamed Merah pouvait être le héros sulfureux d’un temps égaré. Ainsi Le Monde, dans son supplément littéraire du 30 mars 2012, prête ses pages pour produire un récit fictionnel proposant au lecteur de s’installer dans la tête de Mohamed Merah. Salim Bachi, l’auteur du texte présente au lecteur ce qui pourrait constituer les éléments psychiques, culturels et idéologiques ayant mené Merah à commettre ses crimes. Dans un style littéraire très novlangue des banlieues, Salim Bachi/Mohamed Merah exhibe ses haines, ses frustrations, son apocalypse personnelle. Au fond, ce brave garçon serait devenu enragé parce que son désir d’être au monde aurait été cassé, brisé, souillé par l’accumulation des barrières ayant interdit son épanouissement. Désespéré par tant de mises à l’écart, cet homme révolté finit par trouver la seule voie qui se serait ouverte à lui. Ben Laden serait ce héros modèle, émancipateur capable de niquer l’Amérique, la France et bien sûr Israël ennemis jurés des déshérités et des musulmans.

Bien sûr, Le Monde a pris ses précautions. L’éditorial de Jean Birnbaum propose une mise en garde : c’est sous l’angle de la littérature que cette « prosopopée » est proposée au lecteur. Le mot est compliqué, réservé aux initiés des belles lettres, comme si cette figure de style donnait une caution à un texte obscène. Il est certain que d’autres « prosopopées » d’Hitler, de Goebbels, des Einsatzgruppen, de Staline, de Mengistu pourront alimenter un genre littéraire promis à un bel avenir. Il coïncide bien avec l’air du temps. Bien sûr, Le Monde a donné la parole, heureusement, à d’autres auteurs, néo conservateurs, de surcroît, qui refusent cet élégant cynisme. Olivier Rolin et Marc Weitzmann se refusent à psychologiser ou à sociologiser les gestes de Merah. Ils refusent tout autant l’excès de mots, de citations d’auteur, pour interpréter, commenter. « La littérature, ce sera pour après » écrit Olivier Rolin et il a bien raison. Cependant la mise en page du Monde pourrait aussi donner à penser autre chose. En première page, un montage digne de l’emballage d’un jeu vidéo de guerre, donne à voir, de manière entremêlée, armes, Ben Laden et explosions. En page 2, au milieu du texte de Rolin, une illustration à l’allure d’une peinture abstraite. Il s’agit d’une photo présentant les « impacts de balles sur l’immeuble où était retranché Merah ». Cette image semble irréelle. Seule la légende, à la graphie toute petite, informe de sa nature exacte. Cet objet à l’apparent statut esthétique ne dit pas la violence des faits.

 

Au bout du compte, à quoi rime cet ensemble ? Fallait-il se jeter sur l’événement pour l’esthétiser, le transformer en roman avec le méchant, mort au combat les armes à la main, pour héros ? Et pourquoi ne pas s’être mis dans la tête de celle qui a perdu en un jour son mari et ses deux petits enfants ? Ou dans la tête de la petite fille de sept ans que le tueur a trainée par les cheveux avant de lui mettre de sang-froid, une balle dans la tête ? Le Monde a préféré donner la parole à Jean Genet plutôt qu’à Edmond Rostand pour dire la laideur de l’époque. En ce sens, ils collent au réel. Fallait-il pour autant en faire la promotion au lieu de hurler d’indignation ? L’indignation, n’est-elle pas la vertu à la mode qui devrait changer le monde ?Pour certains, cette vertu est sélective, car on entend ici et là que tout cela ne serait pas arrivé si Israël ne faisait pas subir aux Palestiniens le joug de l’apartheid.

 

Au fond, Le Monde reste fidèle à une ancienne ligne éditoriale qui qualifiait déjà « d’enfant colon » un garçon de douze ans assassiné par des terroristes palestiniens en l’an 2000. À l’époque, il ne s’agissait pas de littérature, mais de commenter des faits. Quand elle se drape dans l’ignominie la littérature n’en reste pas moins ignoble. Et pour être « un-jeune-des-banlieues », Mohamed Merah n’en reste pas moins le représentant criminel du lumpen islamo-fasciste des banlieues.