Tribune
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Publié le 10 Septembre 2013

Pourquoi pas un plan Marshall pour l’Égypte ?

Par Zvi Mazel, ancien ambassadeur d’Israël

 

La situation en Égypte n’est toujours pas stabilisée. Certes les Frères Musulmans n’arrivent plus à mobiliser les masses et on voit une baisse sensible dans les manifestations ;  cependant ils ne sont pas encore prêts à reconnaître leur défaite. Par ailleurs une nouvelle menace est apparue. Elle vient d’éléments djihadistes incontrôlés qui ont recours au terrorisme : attentat sanglant contre le ministre de l’Intérieur, bombe sur les rails du chemin de fer. Ce n’est pas nouveau.  Le terrorisme islamique est un phénomène endémique en Égypte depuis les années 70 – époque où Sadat a fait sortir les  Frères Musulmans de prison où Nasser les avait enfermés. Mais aujourd’hui les principales organisations islamiques – de la Gamaa al Islamiya aux  Frères- se sont empressées de se désassocier de ces actes. L’armée et les forces intérieures de sécurité vont devoir se mobiliser pour arrêter cette vague d’attentats comme ils le font actuellement en Sinaï. 

Sur ce fond troublé, le bureau central des statistiques en Égypte vient de publier des chiffres actualisés selon lesquels le pays compte 85 millions d’habitants (non compris les huit millions d’Égyptiens vivant à l’étranger).  C’est un million de plus qu’il y a six mois. Chaque année 800 000 demandeurs d’emploi de plus se pressent sur le marché du travail. La natalité a beau être tombée à 2.4%, la population atteindra le cap des cent millions dès 2020. Rappelons que de 40 à 50% des Égyptiens vivent au-dessous du seuil de pauvreté fixé par l’ONU – 2 dollars par jour – et 30% sont analphabètes. On mesure l’ampleur des moyens à mettre en œuvre pour nourrir les masses tout en propulsant le pays sur la voie du développement économique. Selon la feuille de route publiée par le général Sisi et le décret promulgué par le président par intérim Adly Mansour un pouvoir civil sera restauré sous neuf mois. Une constitution révisée sera soumise à la ratification populaire par referendum et on procédera ensuite à l’élection du parlement puis du président. Le général ne revient pas sur l’engagement qu’il a pris, remettre les clés aux institutions élues. Certes, certains voient en lui un futur Nasser ;  mais  le peuple qui a renversé deux dictateurs en deux ans en accepterait difficilement un troisième. Sisi restera populaire aussi longtemps qu’il tiendra parole et s’emploiera à restaurer l’ordre civil.

 

Ce n’est pas tâche facile. Il lui faut d’abord neutraliser définitivement la Confrérie des Frères Musulmans et mettre un point final à la violence. Il faut aussi superviser la rédaction d’une constitution respectant tous les courants du pays, mais barrant la route aux partis islamistes. Ce n’est pas tout. Les partis non islamistes seront-ils en mesure de présenter un front libéral et démocratique susceptible de remporter 40% des sièges et donc de pouvoir diriger un gouvernement de coalition ? Et où trouvera-t-on un candidat à la présidence répondant aux aspirations du plus grand nombre ? Beaucoup de questions sans réponse. Certes la  Confrérie est décapitée, ses cadres supérieurs et moyens en prison ou en fuite et l’on assiste à des explosions de violence sporadiques. La rumeur fait état de négociations qui seraient en cours avec le régime, mais Sisi ne semble pas disposé à lui donner un rôle et une première série de procès s’est terminée par la condamnation de membres de la Confrérie. Les Frères ne s’avouent pourtant pas vaincus et n’ont pas encore commencé à assimiler ce qui leur est arrivé et à chercher à se reconstruire. Rien n’est moins sûr. Il faudra attendre les élections pour voir le nouvel équilibre des forces entre les islamistes – Frères, Salafistes, membres de la Gamaa el Islamiya – et les partis non islamistes qui, rappelons-le, ne récusent pas la nature islamique de l’Égypte et reconnaissent en la Sharia la principale source de législation, mais réclament l’égalité pour tous les citoyens et le respect des droits de l’homme. Le parti salafiste El Nour qui a demandé à être représenté dans la commission qui rédige la constitution et y a obtenu un délégué conteste maintenant la composition de cette commission.  Le Front de Salut National qui avait uni les opposants au régime Morsy se désagrège depuis le départ de Mohammed el Baradei, l’un de ses trois chefs ; nommé vice-président il a démissionné pour protester la répression brutale des Frères conduite par Sisi, plongeant son parti – El Doustour – dans le désarroi. On parle d’une force qui monte ; le « Libre courant » ; fondé en décembre dernier il a du mal à se faire un nom et une place au plan national. Par ailleurs aucun candidat à la présidence ne s’est manifesté et la bourse des noms est muette. En réalité, tout va dépendre de l’économie. L’Égypte tirait l’essentiel de ses revenus du tourisme, du canal de Suez et de l’exportation des dérivés du pétrole et du gaz naturel ainsi que dans une moindre mesure de quelques produits chimiques et de produits agricoles comme le coton et son industrie. Aujourd’hui le tourisme est moribond, les réserves de pétrole s’épuisent et le pays s’est montré incapable de développer ses réserves de gaz naturel pourtant considérables. Les efforts entrepris par Moubarak pour moderniser l’industrie avaient largement échoué du fait de la bureaucratie et de la corruption. Le gouvernement intérimaire fait tout pour remettre de l’ordre après la révolution. Les magasins ont rouvert, les files d’attente devant les stations-service ou pour se procurer les bonbonnes de gaz de cuisine ont disparu et les pannes de courant se font rares. Un plan d’urgence a été mis en route pour réveiller l’économie. Pas de nouveaux impôts et pas d’atteinte aux subventions de produits de première nécessités, grâce à la générosité de l’Arabie Saoudite, de Koweït  et des Émirats qui se sont engagés à verser douze milliards de dollars. Le gouvernement vient de mettre un milliard quatre cent mille dollars à la disposition des banques pour leur permettre d’aider les clients en difficulté du fait des troubles récents et d’encourager de nouvelles entreprises. Un soin particulier va être apporté aux secteurs du pétrole et du gaz. Une campagne va tenter de faire revenir les touristes. Ce sont là des mesures indispensables pour redonner confiance au pays. Elles ne touchent cependant pas à l’essentiel. Des réformes fondamentales sont à entreprendre : mettre fin aux subventions, privatiser, se lancer à fond dans la haute technologie et la modernisation. La stabilité politique et économique est à ce prix. Seulement pour cela il va falloir des investissements et des transferts de technologie d’une telle envergure qu’on ne voit pas très bien comment l’Égypte y arrivera. Certes, elle peut compter sur l’aide de certains pays arabes, mais ce n’est pas suffisant. Alors qu’attend l’Occident pour comprendre que l’Égypte qui se bat contre le fondamentalisme et qui a enfin pris à bras le corps le problème du terrorisme au Sinaï est son allié naturel dans une région en crise ? Pourquoi ne pas l’épauler sur la route de la démocratie et l’aider à reprendre son rôle de leader régional ? Disons-le : l’Égypte a besoin de son plan Marshall. L’aura-t-elle ?