Tribune
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Publié le 28 Juillet 2014

Taguieff : "Il y a une nouvelle France antijuive"

Propos recueillis par Richard Bellet, publié dans le Journal du Dimanche le 26 juillet 2014

Pierre-André Taguieff est directeur de recherche au CNRS. Il a notamment travaillé sur le racisme, l’antisémitisme et le communautarisme. Il exprime son inquiétude après les incidents dans les manifestations propalestiniennes.

Les "Mort aux Juifs!" entendus ces derniers jours et les tentatives d’attaque contre les synagogues vous surprennent-elles?

À vrai dire, non. L’analyse de l’évolution des faits antiJuifs (violences et menaces confondues), recensés en France de 1998 à 2013 montre une augmentation brutale de la judéophobie au début des années 2000. Et après une baisse en 2013, une hausse est prévisible cette année. La France n’est pas devenue ou redevenue antijuive, mais il y a une nouvelle France antijuive, qui ne doit pas être confondue avec celle dont la publication de La France juive de Drumont manifestait naguère l’existence. Depuis la fin des années 1960, la haine des Juifs est portée par l’antisionisme radical ou absolu, mélange d’hostilité systématique à l’égard d’Israël, quelle que soit la politique du gouvernement en place, et de compassion exclusive pour les Palestiniens, quoi qu’ils puissent faire, actions terroristes comprises. Le propalestinisme inconditionnel est désormais le principal vecteur de la haine des Juifs dans le monde. C’est pourquoi il n’y a pas à s’étonner devant les récentes manifestations dites "propalestiniennes" qui réveillent et révèlent les passions judéophobes.

Peut-on parler d’un antisémitisme à la française?

Ce qui est spécifique à la France d’aujourd’hui dérive du fait qu’y coexistent des populations respectivement juives et musulmanes les plus importantes en nombre d’Europe. Leurs affrontements symboliques mimant le conflit israélo-palestinien sont à la fois plus visibles et plus intenses qu’ailleurs. La nouvelle vulgate antijuive qui s’est installée durablement en France et dans d’autres pays européens peut se résumer par l’articulation de trois caractéristiques négatives attribuées aux "Juifs" ou aux "sionistes?" : premièrement, ils sont "dominateurs" en Occident?; deuxièmement, ils sont "racistes", en particulier au Proche-Orient, où ils se comportent "comme des nazis" avec les Palestiniens, victimes d’un "génocide" en cours de réalisation?; troisièmement, ils exercent une puissante influence occulte et complotent partout dans le monde. Cet ensemble de thèmes d’accusation et de stéréotypes négatifs s’inscrit dans une vision du monde structurée par la concurrence des victimes, qui permet d’identifier "le Juif" ou "le sioniste" comme le rival, l’imposteur et l’ennemi… Lire l’intégralité de cet entretien dans l’édition du JDD du 27 juillet 2014.