Tribune
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Publié le 2 Avril 2012

Terrorisme : questions à l'islam

Musulmanes ou juives, les autorités religieuses ont affronté le drame de Toulouse avec sagesse, récusant tout amalgame et tout affrontement communautaire. La prestation commune à la télévision de Dalil Boubaker, recteur de la mosquée de Paris et de Richard Prasquier, président de la principale organisation représentative du judaïsme français, en a été l'exemple éclatant. Pourtant cette noble attitude ne peut occulter certaines questions désagréables qui se posent aux religions en général et à l'islam en particulier. Des questions que les opérations de vendredi 30 mars 2012 menées contre certains groupes salafistes ont rendues encore plus aiguës.

Raisonnements politiques

 

Rappelons-nous. Au cours de son enquête sur les tueries de Montauban et de Toulouse, la police a pour un temps envisagé la piste d'un tueur d'extrême droite, analogue à celui qui a massacré des dizaines de personnes l'été dernier en Norvège. Si cette hypothèse s'était confirmée, il est facile d'imaginer les raisonnements politiques qu'on n'eût pas manqué d'en tirer, notamment à gauche. L'assassin, aurait-on dit, n'est pas le seul coupable de son crime. La responsabilité en incombe aussi à l'atmosphère de haine diffusée par certaines idéologies extrêmes ; il faut donc accuser aussi les idées intolérantes ou xénophobes qui encouragent les dérapages barbares. François Bayrou, par exemple, avant d'être soudain contredit par la révélation de l'identité du tueur, avait imprudemment entamé un réquisitoire en ce sens, à l'instar de certains commentateurs trop prompts à mettre en cause Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy dans cette affaire. Ainsi on eût incriminé non seulement le terrorisme nationaliste qui frappe sporadiquement Europe, mais aussi l'extrême droite légale, dont les idées, quoique débouchant sur une stratégie électorale qui exclut la violence physique, encouragent les passages à l'acte d'éléments marginaux.

 

Condamnation sans équivoque

 

L'attitude claire et noble des représentants religieux face à la tuerie évite qu'on applique aux religions, notamment à l'islam, le même raisonnement. Dès l'identité du tueur connue, les représentants musulmans ont condamné ces crimes sans équivoque. Ils ont témoigné leur solidarité avec la communauté juive, laquelle, par la voix de ses représentants, s'est gardée de tout reproche général envers l'islam et de tout amalgame, comme l'ont fait les autorités de l'État et la plupart des forces politiques du pays. Dans leur pratique quotidienne, les croyants des grandes religions observent la plupart du temps une attitude retenue, tolérante et pacifique qui les met à l'abri du reproche quand l'un des leurs, égaré dans l'extrémisme violent, commet un crime au nom de Dieu.

 

Il en va autrement des intégrismes. De même qu'on peut reprocher à l'extrême droite politique l'usage que certains criminels peuvent faire de ses idées, on doit dénoncer l'influence des religieux dogmatiques, seraient-ils de simples prêcheurs, sur les exactions des fanatiques. Et ont doit, en particulier, puisque Mohammed Merah se réclamait de l'intégrisme musulman, s'interroger sur le rôle que joue l'extrême droite de l'islam dans le terrorisme.

 

Responsabilité

 

En perquisitionnant hier chez certains groupes salafistes, la police a mis à jour un arsenal impressionnant qui démontre que ces orateurs de la haine ne comptaient pas forcément s'en tenir au simple discours. Mais même quand ces fondamentalistes restent dans la stricte légalité, leur responsabilité est en cause. Comment ne pas voir que la rigidité, le dogmatisme, la dureté doctrinale et le langage de confrontation utilisé par les intégristes ont contribué à forger la conscience pathologique d'un Mohammed Merah ? Quand on prêche une interprétation absolue du texte du Coran, quand on préconise le retour absurde aux pratiques religieuses en vigueur dans l'Arabie du Moyen-Age, quand on appelle à la reconstitution de l'ancien califat contre "les juifs et les croisés" au prix d'un djihad sans merci, quand on alimente la haine des juifs dans des termes qui se rattachent à l'antisémitisme le plus abject, peut-on être disculpé de toute influence sur les assassins ?

 

Lutte contre les intégrismes

 

Le salafisme n'est pas forcément terroriste. Il fournit aux terroristes leur idéologie. Dans la louable intention d'éviter tout amalgame, doit-on l'ignorer ? Faudrait-il se boucher les yeux sur les pathologies de l'Islam, qui ressemblent tant aux pathologies qui ont affecté ou qui peuvent encore affecter les autres religions ? Faudrait-il être plus irénique que le parti Ennahda en Tunisie, pourtant tenu pour islamiste, qui a annoncé qu'il combattrait frontalement le salafisme et qui vient de refuser d'introduire la charia dans la future constitution tunisienne ? La lutte contre les intégrismes, et donc contre l'intégrisme musulman, fait partie des devoirs élémentaires de tout démocrate. Elle traverse l'Islam et doit rallier l'immense majorité des musulmans de France. Elle ne saurait être différée au nom d'on ne sait quelle peur de la stigmatisation, qui n'est que le paravent de l'inconscience.

 

Dieu n'est pas forcément fanatique

 

Allons plus loin. Comme naguère les croisades, comme les actes violents de certains extrémistes juifs en Israël, le djihad armé s'appuie pour se justifier sur certains passages des textes sacrés qui appellent explicitement à la violence contre les religions rivales ou contre les non-croyants. C'est une des raisons pour lesquelles l'application à la lettre des textes bibliques ou coraniques porte en elle l'intolérance, la confrontation et la violence. Dieu n'est pas forcément fanatique. Mais certaines de ses paroles le sont. Un Ben Laden n'a pas eu besoin d'inventer des citations coraniques pour alimenter sa doctrine de fer et de feu. Elles existent.

 

Apaisement

 

Beaucoup de théologiens des trois religions du Livre ont expliqué qu'il fallait oublier ces passages archaïques de la parole sacrée au profit du message général de paix et de charité dispensé par les prophètes. Il est temps qu'ils se manifestent de nouveau. Jean Daniel, dans son dernier éditorial, lance un appel urgent et décisif au sursaut des religieux pacifiques. C'est de l'intérieur de ces religions que viendra l'apaisement. Pourquoi les savants des trois grands cultes ne procéderaient-ils pas à une mise au point salutaire sur leur interprétation des phrases violentes de la Bible ou du Coran ? Pourquoi ne proclameraient-ils pas l'incompatibilité radicale entre la foi et la violence ? Les docteurs de la foi ont la responsabilité des âmes. Cautionnent-ils, reprennent-ils, approuvent-ils les appels au meurtre qu'on trouve ici ou là dans les livres sacrés ? Et si ce n'est pas le cas, qu'attendent-ils pour les récuser publiquement, à la lumière de leur science théologique? La lutte contre l'intolérance devrait être l'une des priorités de tous les croyants d'aujourd'hui. C'est à cette condition seulement qu'on évitera les amalgames.