Tribune
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Publié le 21 Février 2013

Un ami libyen à Paris

 

Par Bernard-Henri Lévy

 

C’est le 2e anniversaire de la révolution libyenne. Et c’est la première fois que je revois Ali Zeidan depuis qu’il est Premier ministre. Nicolas Sarkozy est là, qu’il a tenu à recevoir dès ce soir, à titre personnel, avant que ne commence le programme officiel de sa visite. Il a le même air modeste qu’autrefois. Le même regard d’enfant indocile, derrière ses grosses lunettes d’écaille. Il a le même costume marron fatigué que je lui ai toujours vu, à l’époque, quand nous montions vers les fronts d’Ajdabiya, de Misrata ou du djebel Nefousa.

 

Il est le patron du pays, le maître de toutes les Libye, il est ce nouveau venu que sa probité, son absence de compromission avec l’ancien régime, sa rigueur morale, ont fini par hisser, comme nous étions quelques-uns à le prédire, au sommet d’un pouvoir dont il prétendait, lui, ne pas vouloir – mais rien ne distingue le nouvel Ali de celui que j’ai côtoyé et dont les images, héroïques et fragiles, consignées dans mon journal de guerre puis dans mon film, se superposent à celle que j’ai, là, à cet instant, sous les yeux : rien, vraiment rien, ni dans son attitude, ni, quand je franchis le seuil de sa suite, dans son éclat de rire tonitruant suivi de bourrades de vieux camarade fêtant des retrouvailles affectueuses, ni dans sa relation avec Mansour, l’ami de toujours, devenu le plus proche de ses conseillers…

 

Il dit sa gratitude à Sarkozy sans la ténacité de qui rien n’aurait été possible (merci pour la reconnaissance surprise du CNT, le 9 mars 2011 ; merci pour nous avoir écoutés, le 13 avril, quand nous vînmes, avec le général Younès, nuitamment, en secret, proposer d’ouvrir un nouveau front dans les montagnes berbères ; merci d’avoir, le 20 juillet, reçu les commandants de Misrata forçant le blocus de leur ville pour venir lui expliquer qu’ils étaient en position, pour peu qu’on leur en donne les moyens, de marcher sur Tripoli et de mettre un terme à la guerre ; merci… merci…).

 

Il répond, sans langue de bois, avec la précision que nous attendions, jadis, de nos interlocuteurs occidentaux et, en particulier, de lui, Sarkozy, aux questions que celui-ci lui pose sur la situation sécuritaire du pays (alarmante, certes, mais moins que ne le disent les médias), sur les priorités de son gouvernement (la sécurité, oui – mais aussi le dialogue, la réconciliation nationale, l’unité) ou sur le sort de ceux de l’ancien régime qui, comme Saïf al-Islam, le fils préféré de Kadhafi, ont le plus de sang sur les mains (eux aussi, insiste celui qui fut président de la fédération libyenne de la Ligue des droits de l’homme, ont droit à un juste procès).

 

Et à l’inquiétude formulée, enfin, par l’ancien président quant au poids des islamistes dans le pays, il oppose que la menace est là, bien sûr ; qu’il ne faut pas la sous-estimer ; mais qu’elle est marginale et que le peuple libyen, dans son immense majorité, reste fidèle à cet islam modéré que l’on appelle, à Benghazi, « intermédiaire » et pour lequel nous nous sommes, ensemble, tant battus – qu’est-ce, après tout, que le « serment de Tobrouk » sinon l’engagement que nous avions pris, lui, Zeidan, trois de ses compagnons libyens, Gilles Hertzog, moi-même, de ne pas désarmer tant que la démocratie n’aurait pas commencé de l’emporter, pour de bon, sur les tentations dictatoriales d’hier et d’aujourd’hui ? C’était un matin de printemps, à l’ombre de la croix de Lorraine, dans le petit cimetière des soldats français tombés, en plein désert, dans la guerre contre le nazisme. C’était l’heure la plus sombre de cette nuit sans fin où la folie de Kadhafi semblait avoir précipité hommes et femmes de Libye. Et, maintenant, cette scène, ce moment de fraternité retrouvée et l’un des assermentés en situation de donner corps à notre rêve – quelle histoire !

 

J’observe mon ami observer son compagnon d’armes Sarkozy, lui-même étrangement apaisé.

 

Je vois cette complicité qui les lie et qui, malgré les vicissitudes de la vie et du différend politique, me lie, moi aussi, à eux deux.

 

Les prétendus experts peuvent raconter ce qu’ils voudront.

 

Il y a un fait : si Ali est là, si cet ami de l’Occident, ce musulman pieux et éclairé, préside aux destinées de son pays, c’est que les islamistes ont perdu, il y a huit mois, les premières élections libres qu’ait jamais connues la Libye : ils ont gagné en Égypte ; ils sont majoritaires en Tunisie ; mais ils sont, en Libye, dans l’opposition, minoritaires – c’est comme ça.

 

Mais il y a un autre fait ou, mieux, un théorème qui n’est, lui non plus, pas douteux : quand l’Occident laisse faire ou qu’il prend, plus ou moins ouvertement, le parti des dictateurs, ce sont les islamistes qui se portent en première ligne et raflent, avec la palme du martyre, le titre d’amis du peuple ; que l’Occident se réveille au contraire, qu’il tende la main aux peuples insurgés, qu’il démente l’idée que l’on se fait, dans ces régions, des anciens colonisateurs naturellement complices des assassins – et c’est tout le décor qui bascule, le sol qui se dérobe sous les pas des aspirants à la tyrannie nouvelle et les fanatiques de l’apocalypse qui, en perdant leur meilleur argument, perdent la bataille du pouvoir.

 

Leçon d’Ali Zeidan.

 

À bon entendeur (Syrie…), salut !

Bernard-Henri Lévy

 Bernard-Henri Lévy est de tous les combats pour la dignité...

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