Tribune
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Publié le 4 Décembre 2012

Un match de football dans le camp de la mort

Par Michaël Bloch

 

Des documents attestent de l’existence de match de football dans les camps de la mort entre les SS et les détenus raciaux.

À Auschwitz, on jouait au football. L’histoire est peu connue, semble presque irréelle. Et pourtant elle existe. Il y a au moins la trace écrite d’un match de football entre SS et les Sonderkommando juifs au cœur du camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau.

 

Que cette rencontre ait vu l’affrontement entre les SS, en charge de la surveillance du camp de concentration, et les Sonderkommando, détenus juifs dont le rôle était sortir les corps morts des chambres à gaz pour les brûler sans manquer de récupérer les objets de valeur, n’a rien d’anodin. Les nazis avaient réussi à faire participer des Juifs à la solution finale, une manière de les abaisser à leur niveau. Ce match en est le symbole.

 

On ne connait que peu de détails sur la rencontre footballistique, en elle-même, juste le témoignage de Miklos Nyiszli, juif, docteur, prisonnier et assistant du sinistre “médecin” Joseph Mengele au camp d’Auschwitz-Birkenau. “Il était trop tôt pour le diner. Les Sonderkommando ont donc commencé un match de football. Les équipes se sont alignées sur le terrain. D’un côté du terrain, les gardes SS du crématorium. De l’autre, les Sonderkommando. La balle a été mise en jeu. On entendait des rires sonores dans toute la cour. Les spectateurs ont commencé à s’exciter et à lancer des encouragements aux joueurs, comme s’ils jouaient sur un terrain d’une ville paisible.[1]”, raconte Miklos Nyiszli dans son livre traduit en français sous le titre Médecin à Auschwitz.

 

“Vous aussi, comme nous et comme Cain, avez tué votre frère. Venez, nous pouvons jouer ensemble”

 

Primo Levi, déporté juif italien, rapporte également la scène dans son dernier ouvrage Naufragés et Rescapés “D’autres SS et le reste de l’équipe assistent à la rencontre, prennent parti, font des paris, applaudissent, encouragent les joueurs comme si au lieu de se dérouler devant les portes de l’enfer, le match se déroulait sur un terrain de village”.

 

William Heyen, fils d’immigrés juifs allemands, né en 1940, s’est beaucoup intéressé aux matchs de football qui se déroulaient à Auschwitz. Il affirme qu’il y en avait un chaque année. Il a même écrit un poème à ce sujet. Il l’a dénommé “parité”. Pour lui, les “SS qui dirigeaient le camp avaient réduit les Sonderkommando (commando spécial) aux nazis, il y avait une sorte de parité qui avait été créée. Les SS avaient détruit la moralité de la race juive. Par conséquent, ils pouvaient jouer ensemble”.

 

Primo Levi exprime le même sentiment dans son dernier livre Naufragés et Rescapés écrit en 1987: “Rien de semblable n’est jamais arrivé, ni n’aurait été concevable avec d’autres catégories de prisonniers, mais avec eux, avec les ‘corbeaux du crématoire’, les SS pouvaient aller sur le terrain, à égalité ou presque. Derrière cet armistice on lit un rire satanique: c’est consommé, nous y sommes arrivés (…) vous n’êtes plus le peuple qui refuse les idoles. Nous vous avons choisis, corrompus, entrainés jusqu’au fond avec nous. Vous êtes comme nous, vous les orgueilleux: salis de votre sang, comme nous. Vous aussi, comme nous et comme Cain, avez tué votre frère. Venez, nous pouvons jouer ensemble.” Ce match est la terrible analogie de cette “zone grise”, selon le mot de Primo Levi, qui “sépare et relie à la fois les deux camps, celui des maîtres et des esclaves”.

 

Michaël Bloch

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