Tribune
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Publié le 17 Avril 2014

Pascal Bruckner : “En France, l’adversaire a toujours le visage du nazi”

Interview de Pascal Bruckner, propos recueillis par Barbara Lambert, publiée sur Atlantico le 16 avril 2014

Dans “Un bon fils” (Grasset), Pascal Bruckner révèle le passé nazi de son père. Et dévoile, en creux, le portrait d’une France qui n’a pas fait le deuil de la guerre et “rejoue sans cesse l’Occupation” : tout s’est arrêté, dit-il, en 1944…

Les origines de l’antisémitisme de votre père, vous les voyez dans ses origines familiales. Il appartenait à une famille de huguenots qui avaient été contraints de quitter la France pour se réfugier en Allemagne...

Pascal Bruckner : D’abord, il y a le climat de l’époque. Il ne faut pas oublier que la France d’avant-guerre était globalement antisémite. C’était “l’esprit du temps”. Et puis, il y avait les origines allemandes, et le besoin de contrer le père qui s’était battu contre l’Allemagne en 1914 : entre mon père et mon grand-père, le conflit était très fort. Je pense aussi que mon père a été happé par l’atmosphère de la Seconde Guerre mondiale, par la "race supérieure" des vaincus. Les Français étaient à genoux, comme beaucoup de gens de sa génération, il a, je crois, été totalement fasciné par la puissance allemande.

Votre mère, aussi, était fascinée par l’Allemagne… de la même façon qu’elle était fascinée par votre père, qui la maltraitait…

C’est la loi du plus fort. Il y avait aussi cette idée à l’époque que les démocraties étaient en train de mourir, qu’elles étaient faibles, divisées par les partis. On pensait que le fascisme d’un côté, le communisme de l’autre allaient les écraser. Le trait commun qu’avaient mon père et ma mère, c’était leur haine de la démocratie. Je crois que mon père a été littéralement dévoré par la grande victoire du Reich.

Votre père a devancé le STO et est parti travailler en Allemagne chez Siemens. Vous dites que vous auriez préféré qu’il soit un vrai tortionnaire plutôt qu’un sous-fifre…

C’est une remarque esthétique… Quitte à avoir un père dans le camp des méchants, autant qu’il le soit jusqu’au bout (sourire). En même temps, s’il avait été un vrai tortionnaire, j’aurais pu le détester complètement. Or je n’y arrivais pas. Quand je ne le voyais plus, j’avais des remords, alors je le rappelais...

Vous avez culpabilisé de ne pas le détester complètement ?

C’est un mélange : il y avait l’ancienne culpabilité de ne pas le détester et le constat que je ne pouvais pas aller jusqu’au bout et l’abandonner. Là, je me serais senti, pour le coup, très coupable. On n’abandonne pas son père, ni sa mère, ni ses enfants. Malgré tout, il y a des liens qui résistent aux idées politiques et à la vie commune.

Est-ce que vous aviez évoqué avec lui la possibilité d’écrire sur lui ?

Oui, je lui avais dit : “ Tu sais, quand tu seras mort, je raconterai tout ”. Il m’avait répondu : “Je n’en ai rien à foutre. Je n’ai pas de mouchoir dans ma poche. Tu peux dire ce que tu veux, cela m’est complètement égal”. Il était toujours très fanfaron. Mais enfin, je pense que cela ne lui aurait pas plu. Je crois aussi que je vais avoir des réactions très négatives de la famille. Personne n’est au courant, sauf une cousine. Mais des deux côtés, ils vont certainement être blessés.

Pourquoi publier ce livre, aujourd’hui ? Avez-vous attendu la mort de votre père pour le faire ?

C’est vrai, j’ai attendu la mort de mon père. C’était en 2012, il y a un an et demi. Mais mon éditeur insistait depuis trois ans pour que j’écrive ce livre.

Vous voulez dire que vous n’en aviez pas envie ?

Non . Je n’avais pas du tout le “feeling" pour ce livre. Cela me paraissait à la fois indiscret et inintéressant. À force d’insistance, j’ai commencé à prendre des notes. Et puis, c’était comme s’il fallait renverser un tabou. Comme s’il y avait quelque chose à bousculer que je voulais absolument garder secret, ou en tout cas discret. Je n’ai jamais aimé l’autobiographie. J’ai toujours trouvé que c’était très indécent, et voilà que je m’y plonge à mon tour.

C'est vous qui avez choisi le titre, “Un bon fils” ?

Ah oui, c’est moi. Je l’ai imposé chez Grasset, au départ, ils n’étaient pas très chauds. C’est ironique, bien sûr. “ Un bon père ”, cela aurait été difficile…

Vous n’y mettez que de l’ironie, ou un peu de culpabilité, aussi ?

Les deux. “Un bon fils”, je l’ai quand même été jusqu’au bout, je n’ai pas abandonné mon père en dépit de tout le contentieux qui nous sépare. Mais on n’est jamais tout à fait un bon fils, comme on n’est jamais tout à fait un mauvais fils. Dans un cas comme dans l’autre, on risque de se vanter.

Vous auriez préféré, dites-vous, qu’il soit un vrai tortionnaire, mais le fait est qu’avec votre mère ou avec vous, il l’a été vraiment…

Avec ma mère, oui, pas vraiment avec moi.

C’est quand même très violent, il y a des coups, des blessures…

C’était le climat de l’époque. En parlant avec mes cousins, et avec d’autres gens plus jeunes, je me suis aperçu que jusqu’à la moitié des années 70-80, les châtiments corporels étaient de règle.

La violence verbale est énorme…

Il était très violent, il hurlait tout le temps. C’est cela que je lui reproche, plus que ses idées. Chacun, après tout, a droit à ses opinions, même extrêmes et absurdes. C’est surtout avec ma mère qu’il a été très violent. C’était une entreprise de démolition systématique, du premier jour jusqu’aux six derniers mois… Lire la suite.

"Un bon fils", de Pascal Bruckner, Grasset, 250 p., 18 euros

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