Tribune
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Publié le 24 Mai 2013

«Une partie de la jeunesse est imprégnée par l’islam radical»

 

Par Patricia Tourancheau

               

Interview - Pour le juge antiterroriste Marc Trévidic, Internet a favorisé l’endoctrinement.

 

Magistrat antiterroriste à Paris depuis plus de dix ans, Marc Trévidic, 47 ans, qui a enquêté sur de nombreux réseaux de jihadistes et filières d’entraînement, estime que les services de police et de renseignement français, britanniques ou américains ne sont pas armés «pour détecter des jihadistes individuels et des microgroupes dilués dans nos sociétés».

 

Pourquoi les services de lutte antiterroriste sont-ils impuissants à contrer les extrémistes comme ceux de Londres ?

 

On a affaire à des meurtriers ayant des comportements irrationnels, à des fanatiques guidés par la haine et non organisés. Ils ont agi de manière spontanée en tuant dans la rue un soldat qui sort d’une caserne, avec les moyens du bord, couteaux de cuisine et hachoir de boucher. C’est le degré zéro du terrorisme. Nous savons lutter contre des organisations ayant une stratégie politique ou un projet terroriste, mais pas contre ces actes commis par des gens isolés qui relèvent du pulsionnel, du pétage de plomb de jeunes radicalisés via Internet. Lorsque des groupes un minimum structurés préparent un attentat à l’explosif, que les membres se réunissent et achètent le matériel, les services ont le temps de les détecter et de les arrêter avant. Mais il est impossible de déceler à l’avance des phénomènes éruptifs comme à Londres. Les microgroupes radicalisés ont sûrement des liens par Internet ou par téléphone, mais ne sont pas suffisamment organisés. Lorsqu’on arrive à un degré de radicalisation de toute une frange de la population, on a évidemment plus de risques éruptifs de ce type. Comme le feu qui couve, cela s’embrase de temps en temps.

 

Peut-on parler de «loups solitaires» ?

 

Le phénomène du jihad individuel est très éloigné de l’image contestable du «loup solitaire». Les islamistes extrémistes qui passent à l’acte dans leur coin ne sont pas seuls. Ils exécutent une stratégie définie par d’autres, à commencer par Al-Qaeda. Ils baignent dans un environnement qui véhicule un discours de haine sur Internet et certains, comme Mohamed Merah, voyagent à l’étranger pour s’entraîner au jihad. Ils ne sont pas déconnectés de toute infrastructure. La radicalisation qui s’opère sur Internet est voulue par des prêcheurs et des cadres de l’islam extrémiste qui diffusent l’idéologie sur des sites et revues comme Inspire. Al-Qaeda ne pouvant plus préparer de grosses opérations, Al-Qaeda en péninsule arabique (Aqpa) a lancé il y a quelques années l’appel au jihad individuel : «Passez à l’action où que vous soyez avec les moyens du bord si vous acceptez de mourir pour Allah.» Ce grand effort de radicalisation de nos jeunes a l’effet escompté, puisque certains prennent l’initiative de passer à l’acte, comme à Londres.

 

Quel est le profil de ces nouveaux jihadistes ?

 

Leur seul véritable point commun est de baigner, par leurs relations ou Internet, dans un univers radicalisé qui favorise le passage à l’acte. Sinon, ce phénomène touche aussi bien des convertis que des musulmans d’origine, des gens de milieux défavorisés ou bien intégrés.

 

Faut-il fermer les sites appelant au jihad ?

 

Quand on le peut, on le fait. Mais cela dépasse une loi nationale. Nous avons arrêté à Toulon, fin juin 2012, l’administrateur tunisien du site islamiste francophone Shomouk al-islam suspecté d’avoir relayé des milliers de messages cryptés pour le compte d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), d’Aqpa et d’autres organisations. Nous avons fait fermer ce site. Il a rouvert ailleurs…

 

Comment combattre ces nouveaux terroristes ?

 

Il ne faut pas s’attendre à ce qu’on lutte contre ces faits criminels si on ne lutte pas à long terme contre le phénomène à la racine. Ce n’est pas du seul ressort de la justice et des services. La source du mal vient du fait qu’une partie de notre jeunesse est imprégnée par l’islam radical, après trente ans de montée en puissance d’un discours fanatique et dix ans d’endoctrinement redoutable sur Internet. Il s’agit d’un phénomène mondial qui nécessite une volonté et une coopération internationale pour contrôler Internet, répondre à l’effervescence dans les banlieues et lutter contre l’endoctrinement. Mais on ne peut pas arrêter des gens seulement parce qu’ils sont extrémistes. Car des radicaux, il y en a des milliers. Le 100% de prévention, c’est fini depuis l’affaire Merah. Aujourd’hui, il est compliqué d’agir, car nous sommes à la frontière entre religion et fanatisme, entre la secte et l’islam. C’est désespérant. Nous sommes face à un véritable défi pour nos démocraties.

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