Tribune
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Publié le 10 Mai 2013

Google reconnaît officiellement la Palestine

 

Par Maxime Pinard, Chercheur à l'IRIS, pour le Nouvel Observateur

 

Google.ps affiche désormais le terme de "Palestine" plutôt que "Territoires palestiniens". C'est peut-être un détail pour vous, mais pour Israël, ça veut dire beaucoup. Est-ce le rôle de Google, une entreprise privée, de s'immiscer dans les relations internationales ? 

 

Lorsqu’une entreprise à vocation internationale propose ses services, elle doit prendre garde aux appellations qu’elle utilise, car certaines peuvent choquer, ou dans des cas plus graves, provoquer des tensions économiques et politiques.

 

En effet, des territoires, des frontières, des mers peuvent avoir plusieurs dénominations, en fonction des intérêts géostratégiques des États concernés. De la même façon que les diplomates ont conscience qu’un choix sémantique peut avoir des conséquences politiques majeures, certaines entreprises liées au secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication ne sont plus seulement des puissances économiques : elles peuvent aussi délivrer un message politique.

 

Google se cale sur la position de l'ONU

 

Le 1er mai 2013, le moteur de recherche américain Google a décidé de mettre à jour tous ses services, parlant désormais de "Palestine" et non plus de "Territoires palestiniens", comme cela était le cas jusqu’à présent. Ainsi, sur la page d’accueil www.google.ps, en dessous du logo de l’entreprise américaine figure désormais en arabe le mot "Palestine".

 

Anticipant sans doute les réactions de tous côtés, un des porte-paroles du portail internet, Nathan Tyler, a justifié ce changement par la volonté de se conformer aux dénominations des structures internationales, comme l’ONU, l’ISO (Organisation internationale de normalisation).

 

En effet, pour rappel, depuis le 29 novembre 2012, la Palestine est considérée comme "État observateur" par l’Assemblée générale des Nations unies, constituant un premier pas vers une réelle reconnaissance et souveraineté. Ce fut certes une victoire diplomatique pour les autorités palestiniennes, mais force est de constater que le chemin restant à parcourir est long et sinueux pour aboutir à une solution pacifique dans la région...

 

Pourtant, Google, entreprise américaine, symbole de l’influence des États-Unis dans le monde, a décidé de mener cette action de changement de nom, consciente du caractère symbolique (et épineux ?) d’une telle démarche. Les réactions ne se sont pas fait attendre : satisfaction évidente du côté palestinien où l’on souligne que cela s’inscrit dans la continuité d’une stratégie diplomatique commencée l’an passé ; colère du côté israélien, le ministre adjoint des Affaires étrangères accusant dans une lettre ouverte adressée à Larry Page (citée dans le "Jerusalem Post") Google de reconnaître "intrinsèquement l’existence d’un État palestinien" et mettant en garde contre un effet négatif sur les pourparlers entre Israël et les autorités palestiniennes.

 

Google soutenu par John Kerry ?

 

Mais la réaction la plus intéressante est venue du Département d’État avec à sa tête John Kerry, qui n’a pas souhaité "prendre position dans un sens ou dans un autre", qualifiant l’action de Google d’"entreprise privée".

 

Le fait de ne pas condamner Google, tant sur la forme (un second canal diplomatique en place) que sur le fond (était-ce le bon moment pour une telle initiative ?) laisse à penser que Google peut être considéré comme un appui du pouvoir américain, lorsque celui-ci est bloqué par des considérations politico-diplomatiques plus complexes. Actuellement fixés sur les dossiers syrien et iranien, les États-Unis ne peuvent affaiblir leurs relations avec Israël avec un nouveau dossier épineux, sans quoi ce dernier se sentant moins soutenu pourrait agir en solitaire.

 

Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien a feint l’étonnement, trouvant "surprenant l’implication d’une société privée dans la politique internationale".

 

Le soft power à la Google, qui marche sur des œufs

 

Or, s’il y a bien un exemple de cette réalité, c’est justement Google qui entretient des relations privilégiées avec le Département d’État depuis des années, avec un système de dépendance mutuelle très fort. Google est ainsi le fer de lance de l’influence et des valeurs américaines à l’international qui peut s’appuyer si besoin sur les prérogatives du Département d’État pour assurer son développement et sa sécurité.

 

Les jeux d’influence et diplomatiques de ces dernières années entre Google, le Département d’État et la Chine démontrent la frontière poreuse entre économie et politique. Plus récemment, le patron de Google, Éric Schmidt, s’est rendu en Corée du Nord pour des raisons qui demeurent encore mystérieuses aujourd’hui (nouveau marché à conquérir ? tentative d’apaisement diplomatique ?).

 

Néanmoins, il ne faudrait pas voir dans cet événement la toute-puissance d’entreprises internationales qui supplanteraient le rôle des États ; c’est un système plus complexe qui existe actuellement où l’interdépendance prédomine, chaque protagoniste pouvant être mis en difficulté par l’autre en cas de désaccord. En outre, rappelons que l’appareil législatif américain pourrait permettre à l’Administration d’éviter une hypothétique "surpuissance" d’un géant d’internet comme Google.

 

Enfin, même si les symboles peuvent avoir un poids politique dans certains cas, dans cette histoire d’appellation, il s’agit d’un événement médiatico-politique aux conséquences géostratégiques relativement faibles à court et moyen terme. Des réactions au plus haut niveau (Netanyahu, Obama…) se seraient fait entendre si l’événement avait été fondateur d’une nouvelle page politique ou diplomatique.

 

Maxime Pinard

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