Tribune
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Publié le 10 Janvier 2013

L’Égypte deviendra-t-elle un État totalitaire ?

Par Robert R. Reilly – via Middle East and Terrorism

Adaptation française: Hanna Lévy

 

Les Frères musulmans ont fait un pas de géant en avant dans la consolidation de leur pouvoir en Égypte par le passage réussi de la nouvelle constitution rédigée par 64 pour cent d’entre ceux qui ont voté. Viennent ensuite les élections législatives dans deux mois à travers desquelles la Fraternité reprendra le contrôle du pouvoir législatif. Dans l'intervalle, elle a empli la haute chambre du Parlement, appelée le Conseil de la Choura, avec ses propres membres qui auront le pouvoir de légiférer jusqu'à ce que la nouvelle chambre basse soit élue.

Le Président Mohammed Morsi a déjà avec succès réussi à faire la paix avec la puissante armée égyptienne et à la décapiter. La nouvelle constitution lui a donné le pouvoir de purger la Cour suprême constitutionnelle en réduisant sa taille de 18 à 11 membres. Le Président du Syndicat des avocats, Sameh Achour, a indiqué le but: « Il s’agit de plans monopolistiques. La Fraternité veut contrôler tous les aspects de l’État ».

 

Autrement dit, ceci sera un coup de balai!

 

Pourquoi s’inquiéter ? La démocratie islamiste n’est pas seulement une étape sur la voie de la démocratie telle qu’elle est comprise en Occident ? N’est-ce pas pour cela que les États-Unis soutiennent l’Égypte, et que l’Administration américaine a courtisé les Frères musulmans depuis que le Président Barack Obama a fait asseoir ses membres, au premier rang lors de son célèbre discours au Caire en 2009 ? N’est-ce pas une partie du Printemps arabe ?

 

Le romancier Saul Bellow a écrit : « une grande intelligence peut être investie dans l'ignorance lorsque le besoin d'illusion est profond ». Pour maintenir l'illusion que les Frères musulmans ont l'intention de transformer l'Égypte en une démocratie, cela exige l'application d’une ignorance considérable. La Fraternité musulmane a été fondée en 1928 en réaction à l'abolition par Kemal Atatürk du califat en 1924. Son but ultime est de rétablir le califat. Son vecteur pour le faire, selon le fondateur Hassan al-Banna, est un système de parti unique semblable à celui de l'Union soviétique sous Staline. Al-Banna envisageait une stratégie partant de la base dans laquelle les gens seraient islamisés au niveau local en premier lieu. À cette fin, elle a créé son parti. Après avoir charmé les masses populaires, la Fraternité prendra le plein contrôle.

 

Pourquoi le contrôle total est-il nécessaire? Le principal idéologue des Frères musulmans, Sayyid Qutb, a écrit que «l'Islam a choisi d'unir la terre et le ciel dans un seul système ».  Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que les royaumes distincts du divin et de l'humain se sont effondrés les uns sur les autres, et qu'il sera désormais possible, comme Qutb a dit: «abolir toutes les injustices de la terre ».

 

Ceci, bien sûr, c'est une vision millénariste semblable, à bien des égards, au rêve marxiste de la création d'une société sans classes basée sur l'abolition de la pénurie. Si la justice parfaite doit être réalisée ici, plutôt que devant le trône de Dieu dans le jugement final, plusieurs choses seront exigées par ceux qui l'instituent. Ils auront, en effet, besoin des mêmes choses que Dieu est censé posséder dans sa capacité à réaliser la justice parfaite. Ces deux choses sont l’omnipotence et l'omniscience. La toute-puissance est obtenue grâce à la mise en place d'un régime totalitaire. L'omniscience sera obtenue, comme elle l'a toujours été dans les régimes totalitaires, à travers un dispositif de police secrète important.

 

Est-ce que la version de la Fraternité de l'Islam ressemble à ce régime? Comme indiqué plus haut, elle ne ressemble pas à une religion normale, qui préserve la distinction entre le terrestre et le transcendant. Il s'agit d'une idéologie révolutionnaire visant à la transformation totale de la réalité. Voici son point de vue, tel qu’exprimé par le responsable spirituel de facto des Frères musulmans, le cheikh Youssef al-Qaradawi: « L'islam est une école polyvalente de la pensée, une croyance, une idéologie, et ne peut pas être complètement satisfaisant, sauf en contrôlant [complètement] la société et en dirigeant tous les aspects de la vie, de la façon d'entrer dans les toilettes à la construction de l'État ».

 

Toutefois, certains analystes suggèrent que, depuis sa fondation il y a 84 ans, la Fraternité musulmane a évolué et, qu’une fois au pouvoir, elle évoluera encore plus. Ceci est toujours l'espoir de ceux qui ne reconnaissent pas la nature essentiellement totalitaire de certains mouvements politiques et des principes qui ne sont pas soumis au changement. Des espoirs similaires ont été exprimés au sujet du parti nazi et de divers partis marxistes. Ils mûriraient dans le pouvoir, dont l'exercice les transformerait dans une direction modérée. Ceci, bien sûr, ne s'est pas produit, bien que ces partis aient souvent favorisé l'impression que c'était le cas. Au contraire, ces illusions largement répandues ont effectivement permis à ces partis totalitaires de consolider leur pouvoir.

 

La Fraternité musulmane est un parti de cadres pur et dur. Il faut huit années de formation pour devenir un membre à part entière.  Écoutons le leadership de la Confrérie aujourd'hui au sujet de sa mission et de ses perspectives d'évolution. Le Guide adjoint de la Confrérie, Khairat al-Shater, a déclaré: «La mission est claire: la restauration de l'Islam et de sa conception universelle; en soumettant le peuple à Dieu; en instituant la religion de Dieu: l'islamisation de la vie, l'autonomisation de la religion de Dieu; l’établissement de la Nahda de la Oumma [la nation musulmane] sur la base de l'Islam ».

 

Quant au changement, al-Shater a proclamé que «nul ne peut venir et dire:« nous allons changer la mission en général »... Personne ne peut dire:« oublier l'obéissance, la discipline et les structures »... Non, tous ces éléments sont inébranlables et représentent le cadre fondamental de notre méthode; la méthode des Frères musulmans. Elle n'est pas ouverte au développement ou au changement ».

 

Donc, c'est ainsi que l'Égypte est maintenant dirigée. Certains, comme Alber Saber, âgé de 27 ans, qui a été accusé de blasphème, l'automne dernier, par la Fraternité, a dit: «Ils ne sont pas différents de l'ancien régime. Les armes ont changé, mais ils sont tous deux des régimes oppressifs ». Il pourrait très bien souhaiter que ce ne soit pas le cas, mais c'est l'expérience commune qui fait que les régimes autoritaires sont beaucoup plus limités dans leur portée et cruauté que les régimes totalitaires. Ils veulent se maintenir au pouvoir, mais n'ont pas l'ambition métaphysique de transformer la réalité. Ceci, en d'autres termes, sera pire qu’avec Moubarak.

 

L'écrivain soudanais Al-Hajj Warraq, a dit ceci qui est tout à fait exact, lors d’une interview à la télévision égyptienne au début de cette année: «La démocratie est une culture gravée sur la boîte cérébrale avant qu’elle ne le soit dans l’urne électorale. On ne peut pas parler de la liberté sans des esprits libres. La tragédie du Printemps arabe, est que lorsque les régimes tyranniques sont tombés, les fruits ont été récoltés par des mouvements qui prêchent l’étroitesse d’esprit, au lieu de la libre pensée. Il en résultera que ce seront des régimes pires que ceux qui auront été renversés ».

 

Comme l’indiquent les régimes totalitaires précédents, avant de parvenir à un contrôle total, ils peuvent afficher une grande souplesse tactique. Quand l'économie de l'Union soviétique était près d'un état de délabrement dans les années 1920, Vladimir Lénine n'a eu aucune difficulté à instaurer une nouvelle politique économique libre qui a ensuite été annulée une fois que le danger était passé. Les Soviétiques étaient experts pour donner le change d'une manière fondamentale afin d'obtenir l'aide de l'Occident pour sauver la révolution. Les Frères musulmans ont déjà affiché ce genre de dextérité tactique grâce à leur utilisation de la rhétorique démocratique et des élections pour obtenir l'aide de l'Occident et endormir ses adversaires. Tel que le Premier ministre islamiste, Recep Tayyip Erdogan, a dit une fois, «la démocratie est tout simplement le train, nous embarquons pour atteindre notre destination ».En affichant cette sorte de flexibilité, Sheikh Yusuf al-Qaradawi, a suggéré que la loi islamique, la charia, devrait être mise en œuvre progressivement en Égypte: «Je pense que dans les cinq premières années, il ne faudra pas couper des mains. « Il faut tout d’abord préparer le terrain ».

 

Cependant, la destination finale est claire depuis le début. Le fondateur de la Fraternité,  al-Banna, l’a annoncé: « c'est la nature de l'Islam de dominer, ne pas être dominé, d'imposer ses lois à toutes les nations et d'étendre son pouvoir à toute la planète ».

 

Arrêtez le train: je veux descendre !

 

Robert R. Reilly est membre du conseil d'administration du Middle East Media Research Institute et l'auteur de la Fermeture de l'Esprit musulman [The Closing of the Muslim Mind].

 

Remarque: Cette colonne est initialement parue le 26 décembre 2012 sur le site www.mercator.net