Tribune
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Publié le 25 Novembre 2014

Que faire face au terrorisme?

Par Mohamed Sifaoui, Ecrivain, publié dans le Huffington Post le 21 novembre 2014

Soyons clairs : il n'existe aucune recette miracle que nous pourrions concocter pour endiguer la menace terroriste. Et je ne pense pas qu'il soit possible de l'éradiquer complètement. Nos sociétés doivent apprendre à vivre avec cette menace, la gérer émotionnellement et psychologiquement et nos dirigeants ont le devoir de la réduire, de la contenir et de la traiter afin qu'elle ne soit plus capable de représenter une menace majeure ou stratégique.

Quoi qu'il en soit, nous ne serons plus à l'abri, car même réduit, le fléau terroriste continuera à représenter, à tout le moins, une sérieuse nuisance qui apportera son lot de sang, de larmes et de drames.

Pour gérer la menace que représente le terrorisme islamiste, il ne peut exister, en vérité, qu'une superposition de bonnes volontés et de réponses puisées, non pas dans la pensée xénophobe, non pas dans une rhétorique raciste et non pas dans le corpus des droites extrêmes ou des extrêmes droites, mais, idéologiquement, dans des valeurs universelles incarnées par les grandes démocraties et, singulièrement, par la France. Le sujet est, en effet, trop sérieux pour le laisser entre les mains irresponsables de ceux qui le nourriraient au lieu de l'affaiblir.

Partant de ce postulat, il convient aussi de signaler que si des mesures policières et judiciaires, probablement adaptées aux réalités, ont été mises en place, ainsi qu'une réponse militaire appropriée qui permet à la France de se projeter dans une logique préventive capable d'endiguer le danger terroriste, ou, à tout le moins, d'affaiblir ses bases de lancement (au Mali et en Irak notamment), il ne faudrait pas commettre l'erreur de penser que le terrorisme islamiste doit être combattu exclusivement par des voies judiciaires et militaires. Nous constatons d'ailleurs que ce serait remplir les tonneaux des Danaïdes que de préconiser cette seule approche. La récurrence des actions terroristes, des cycles de violence, des projets d'attentats, des menaces contre les démocraties, des appels au meurtre et toute cette haine diffusée, notamment sur les réseaux sociaux, sont autant de faits qui montrent qu'il serait suicidaire d'opposer la seule troupe à un phénomène complexe qui exige une riposte multiple : sociologique, pédagogique, éducative, philosophique, idéologique, médiatique, économique, diplomatique, financière, etc.

Cette situation, où la France découvre ébahie que certains de ses jeunes (y compris ceux issus de milieux non musulmans) sont devenus des barbares qui magnifient l'égorgement, est, faut-il le reconnaître, le résultat d'une montée en puissance de l'islamisme international, permise, par ailleurs, par l'extraordinaire laxisme des responsables politiques. S'il est important d'insister sur cette réalité, c'est aussi pour mettre fin, une fois pour toutes, au laisser-aller, aux postures sans consistance et aux discours lénifiants.

Avant même l'émancipation d'Al-Qaïda et la création de l'organisation dite « État islamique », les groupuscules islamistes nés en Égypte, en Arabie Saoudite, en Afghanistan, au Pakistan ou au Yémen, ensuite dans les pays du Maghreb, notamment en Algérie, n'ont pas été suffisamment pris au sérieux, tant et si bien que leur implantation en Europe (à un degré moindre en France) est passée quasiment inaperçue. Les politiques les plus répressives ont certes combattu les groupes terroristes, mais n'ont presque rien fait contre les associations et les groupes chargés du prosélytisme, de l'islamisation ou de la réislamisation. En vérité, la mission de la lutte contre le terrorisme islamiste a été confiée aux magistrats et aux policiers qui ne pouvaient traiter que la partie opérationnelle : le terrorisme.

Le chapitre idéologique, l'islamisme, a été, lui, totalement délaissé. En clair, pendant longtemps les terroristes furent arrêtés alors que les prêcheurs légitimant leurs actions violentes n'étaient que très rarement inquiétés. De ces prosélytes intégristes qui préparent des jeunes à accepter les idées anti-laïques et anti-démocratiques, n'en parlons même pas. Il y a là donc, une première approche à préconiser.

Dans la spécificité de la lutte antiterroriste, l'attitude qui tolère le prêcheur haineux, l'imam autoproclamé ou l'endoctrineur clandestin est totalement absurde. Certes, les choses ont évolué dans certains pays, mais il convient d'apprendre la subtilité de la mouvance islamiste dans son ensemble. Il appartient donc aux législateurs de mettre sur pied l'arsenal juridique qui puisse permettre à la justice de sanctionner aussi bien le terroriste que celui qui légitime son action. Mais il convient aussi de tordre le cou à toutes ces idées reçues qui laissent penser, par exemple, que le salafisme wahhabite (saoudien) serait dangereux et pas les associations et personnalités proches de la pensée des Frères musulmans. On oublie que ces derniers ont, depuis leur création en 1928, fait en sorte de rendre les gens perméables à la violence même si, dans plusieurs situations, ils n'incitent pas à la violence de manière directe et assumée. Leur devise résume clairement à la fois leur idéologie et leur programme : « Dieu est notre but, le Prophète notre chef, le Coran notre constitution, le jihad notre voie, le martyr notre plus grande espérance ». On ne peut être plus clair.

En France, nous ne pouvons pas faire l'économie d'un débat sur la place de l'UOIF en tant qu'acteur institutionnel désigné par les pouvoirs publics, ceci au moment où les Émirats Arabes Unis viennent d'inscrire cette même organisation parmi les "groupes terroristes". L'UOIF, porteur du message des Frères musulmans, ne peut être toléré comme une simple association cultuelle. Il s'agit d'un groupement politique qui cherche à influer sur les décisions gouvernementales, à peser dans le champ public et à réislamiser ou à islamiser, notamment dans les quartiers populaires. Voilà un chantier qu'il sera nécessaire d'ouvrir.

S'il faut lutter idéologiquement contre ces fléaux que sont le terrorisme et la pensée jihadiste, comment pourrait-on agir? Explorons quelques pistes.

Il est important de lancer à la fois un débat et une réflexion sur les solutions possibles qui permettraient d'arriver, à court et à moyen terme, à tout le moins, à affaiblir, autant que faire se peut, la capacité de nuisance de la nébuleuse terroriste, avant d'éradiquer complètement ce phénomène. Plusieurs années seront probablement nécessaires avant d'atteindre un tel résultat. Seule une action globale à l'échelle planétaire pourrait venir à bout de la menace islamiste. C'est là un premier élément -un préalable- sur lequel tout le monde devra s'accorder.

Les États devront dépasser leurs intérêts géostratégiques, leurs calculs étroits et envisager, avec sincérité et responsabilité, une action commune visant à éradiquer l'islamisme. Il faut en effet, ne pas parler uniquement de terrorisme, mais d'islamisme aussi, car il est nécessaire de s'attaquer, avec les pays musulmans (ils sont quasiment tous confrontés à ce phénomène, paradoxalement y compris ceux qui le nourrissent) à l'idéologie qui nourrit ce qu'on appelle le « jihadisme ». De ce point de vue, certains pays, notamment les puissances occidentales, dont la France et les États-Unis, devront jouer un rôle de locomotive pour sensibiliser leurs différents partenaires. Et parmi les points qu'il faudrait élargir avec les autocrates musulmans, c'est la nécessité de démocratiser les institutions et les sociétés, car les dictatures et les régimes policiers sont, quoi qu'on puisse en dire, des générateurs d'islam politique, devenu une pensée refuge et une idéologie de contestation. De ce point de vue, les dirigeants des pays musulmans doivent céder -même sous la pression, s'il le faut- et accepter la mise en place de processus de démocratisation, d'éducation et de sécularisation, capables de garantir l'émancipation des personnes, en dehors du champ religieux.

L'un des objectifs principaux - si ce n'est le plus important - devra mettre en œuvre les moyens adéquats afin de tarir les sources de recrutement. Il faut être conscient aujourd'hui que le phénomène « jihadiste » connaît un succès non négligeable, car il est porté par une idéologie qui répond à une attente. Ce ne sont pas les pauvres ni les chômeurs qui risquent de devenir des « égorgeurs » ; ce ne sont pas les « immigrés » ou les personnes d'origine étrangère ; ce ne sont pas des femmes ou des hommes, ceux qui risquent de basculer dans l'infâme sont tous ceux qui vivent avec des vulnérabilités, avec des failles psychologiques, économiques, sociales et qui, par ce fait, deviennent perméables aux idéologies extrémistes, aux pensées totalitaires, aux discours haineux et qui risquent d'être séduits par des idées mythifiées et mystifiées qui promettent la fraternité, la solidarité communautaire, et qui offrent une espérance, une récompense et le Paradis. Tout un « programme » proposé dans un monde injuste où l'on consacre, presque exclusivement, le consumérisme et l'individualisme.

En gros, si l'on devait expliquer la chose de façon triviale, il faudrait dire : le jihadisme « ça a de la gueule » dans un monde où le capital et le profit (et ce qui en découle) représentent l'alpha et l'oméga du monde moderne. C'est ce qui explique, en partie, le fait que le « jihadisme » ne séduit pas seulement des personnes issues de milieux musulmans, mais bien au-delà. En fait, l'islamisme, dans sa forme la plus violente, est un excellent refuge sectaire pour toute sorte de vulnérabilité. Un exemple, parmi tant d'autres, Souad Merah, la sœur du tueur de Toulouse, devient fanatique, adepte du jihad, au sortir d'une déception amoureuse et d'une violente dépression nerveuse. Ce n'est guère anecdotique...

En clair, tous les "vulnérables" (disons les choses ainsi !) peuvent s'épanouir dans une idéologie qui offre « égorgement » ici bas (et le sentiment de toute puissance qui l'accompagne) et « vierges du Paradis » dans l'au-delà (et donc l'assouvissement de fantasmes, y compris sexuels).

Évidemment pour comprendre une telle inhumanité, il faut accepter l'idée que notre monde et celui des jihadistes ne sont pas les mêmes. Nous vivons dans le rationnel, ils vivent dans le royaume de l'irrationnel ; notre logique n'est pas la leur ; nos valeurs ne sont pas les leurs. Notre compréhension de ce phénomène ne doit, par conséquent, prendre en considération que ce qui est de nature à décrypter le fonctionnement mental et la psychologie de personnes tombées dans un mouvement sectaire, nourries par une idéologie totalitaire et portées par un projet messianique aux visées apocalyptiques. Elle ne doit pas prendre comme socle une posture idéologique. En clair, ce n'est pas parce qu'on serait de gauche qu'il faudrait modérer sa condamnation de l'islam jihadiste qui nourrit les décapitations et les légitime.

Voilà en trois phrases comment résumer la véritable nature du terrorisme d'inspiration salafiste. Nous sommes dans quelque chose qui instrumentalise la religion, qui s'inspire, à travers une approche littéraliste, de certains textes coraniques, mais qui n'est pas, quoi que puisse en penser les tenants de la diabolisation du corpus islamique dans son ensemble, un problème religieux. Et écrire cela, ce n'est pas prendre la défense de l'Islam qui évidemment mérite une profonde réforme, si ce n'est une refondation de certains de ses dogmes moyenâgeux. Écrire que ce n'est pas un problème religieux tend, avant tout, à délégitimer ceux qui ont pris la religion musulmane et les Musulmans en otages et à décomplexer la majorité des Musulmans (pratiquants ou pas) qui se retrouvent d'un côté stigmatisés par un Occident de plus en plus inquiet et, d'un autre, menacés par des hordes barbares qui jettent l'anathème sur tous ceux -surtout musulmans- qui n'adhèrent pas à leurs projets macabres. C'est pour ces raisons qu'il ne faut pas pousser l'égoïsme jusqu'à oublier ou omettre que les Musulmans sont statistiquement et historiquement les premières victimes du terrorisme islamiste. Souligner un tel fait est important, car la victoire sur le jihadisme ne deviendra jamais effective sans les Musulmans et certainement pas contre eux.

Il est évident que depuis les attentats du 11 septembre 2001, certaines politiques ont davantage nourri l'islamisme et le terrorisme qu'elles ne les ont combattus. Il convient par conséquent de s'éloigner des postures qui préfabriquent des excuses dans le but (conscient ou pas) de conforter les tenants des discours auto-victimaires dans ces insupportables complaintes qui visent, avant toute chose, à diaboliser les démocraties et à légitimer l'infâme.

Non ! On ne devient pas égorgeur parce que ses grands-parents ont vécu la colonisation, ses parents le racisme et soi-même les discriminations. On ne devient pas égorgeur parce que les démocraties seraient coupables du passé qui est le leur. On devient terroriste islamiste lorsqu'on se laisse embrigader dans un mouvement haineux, fasciste et totalitaire qui offre à ses adeptes les mécanismes de rationalisation de la barbarie. En substance, si l'on devait reprocher quelque chose aux démocraties, c'est leur incapacité à doter tous les citoyens, dès leur plus jeune âge, d'un véritable esprit critique, capable de rejeter le fait qu'une décapitation est un acte inhumain qu'aucun Dieu et qu'aucun Diable ne peut accepter. A fortiori à une époque où toutes les avancées technologiques et toutes les pensées philosophiques permettent, sans l'aide d'aucune religion, de comprendre que l'ère des égorgements, des écartèlements, des mutilations, des lapidations et des bûchers est bel et bien révolue.

De même qu'il y a eu une lutte idéologique, contre le nazisme par exemple, une lutte politique et idéologique doit être menée contre l'islamisme, pensée totalitaire s'il en est, qui a moult points communs avec les idéologies fascistes. Et il ne s'agit guère ici d'un abus de langage. Il faudra donc nécessairement assumer cette lutte idéologique à condition qu'elle soit suffisamment subtile pour ne pas se laisser emporter, et donc dénaturer, par des discours putrides. À ce titre, il est nécessaire de réfléchir, y compris à la criminalisation des pensées et des discours prétendument religieux qui nourrissent la haine et la violence.

Cela étant dit et au-delà de cette liste non exhaustive, comment parer à l'urgence ? Comment faire face à cette menace intérieure qui s'est installée progressivement ? Quelles réponses apporter à ses propres « compatriotes » qui menacent la société à laquelle ils appartiennent ?

Comprenons d'abord que la stratégie opérationnelle des groupes terroristes est à la fois complexe et très souple. Complexe, parce que des organisations comme Al-Qaïda, AQMI ou  Daesh, sont, en quelque sorte, organisées à travers leur désorganisation dans le sens où elles ne fonctionnent pas comme les groupes terroristes dits « classiques » dont les mécanismes sont connus par les services de sécurité. Elles sont souples parce que souvent éclatées, non hiérarchisées, agissant à travers des cellules cloisonnées et mobiles et fonctionnant parfois avec des effectifs très réduits : un seul opérationnel (celui qu'on appelle parfois à tort « loup solitaire ») soutenu par quelques appuis logistiques (cas Merah ou Nemmouche) et poussé par des alliés idéologiques.

Ces organisations sont, en réalité, plus un label idéologique qu'un état-major. Même si des actions concertées et préméditées sont élaborées, ces groupes terroristes offrent à leurs adeptes une assez grande autonomie d'action puisqu'ils les incitent à passer à l'action selon leurs possibilités et selon leur agenda en prenant en compte leurs propres contraintes. Nous avons face à nous une mouvance et non pas des mouvements. Il existe certes un noyau dur qui dicte les grandes lignes stratégiques.

On peut affirmer que cette mouvance s'articule aujourd'hui autour de deux grands ensembles : d'un côté le centre, où l'on retrouve des figures symboliques du jihad international et autour duquel se sont greffés des organisations satellites ayant adhéré au mouvement, et d'un autre côté, il existe une nébuleuse islamiste tentaculaire formée de multiples cellules, de réseaux, d'individus, sans structure définie se développant, à l'échelle planétaire, de façon anarchique telles des métastases. Les uns et les autres, grâce à leur autonomie opérationnelle, sont capables de concevoir une opération terroriste et de la mettre à exécution.

Ces microcellules, composées le plus souvent de quelques islamistes seulement, une bande de copains, des amis de lycée, de quartier, de prison, ne sont pas directement liées les unes aux autres et ne dépendent d'aucun commandement central et certainement pas de la direction centralisée de  Daesh ou d'Al-Qaïda. Leurs points communs : une idéologie (le salafisme), un mode opératoire (le terrorisme) et deux objectifs principaux (punir l'Occident et réislamiser le monde musulman).

L'idéologie islamiste est en quelque sorte leur véritable centre de commandement. Elle est accessible, simplifiée, voire vulgarisée, et largement enseignée. On la trouve abondamment sur Internet, dans des livres ou des prêches enregistrés, circulant sous le manteau, voire, le plus souvent, aisément accessibles sur Internet. Cette idéologie est enseignée dans des groupes fermés ou des pages de réseaux sociaux, Facebook notamment, elle n'est plus dans les mosquées et le monde réel, mais davantage sur la toile et dans le monde virtuel… Lire la suite.

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