Tribune
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Publié le 2 Septembre 2014

Une Europe sans Juifs ?

Par Élie Barnavi, historien et essayiste, ancien Ambassadeur d'Israël en France, publié sur I24 News le 29 août 2014

Voici un mois, je discutais dans ces colonnes un article publié dans le quotidien Haaretz qui posait ingénument la question de « l’expulsion » éventuelle des Juifs de France. Dans un article du Sunday Independent du 24 août, l’écrivain et journaliste irlandais Eoghan Harris élargit la perspective : c’est l’Europe tout entière qui, selon lui, risque de se retrouver Judenfrei vers la fin du siècle. Il fait écho à un long papier passablement alarmiste paru dans Newsweek le 29 juillet : « Exodus: Why Europe's Jews Are Fleeing Once Again ». L’« exode » des Juifs européens y est présenté comme un fait, un fait dont il s’agit de comprendre les raisons.

Harris trace un parallèle audacieux entre l’exode des protestants irlandais du sud de l’île pendant la période dite des Troubles (1918-1923) qui a abouti à la proclamation de la République d’Irlande, et l’extermination du judaïsme européen par les nazis. Bien sûr, il ne compare pas les deux événements, mais il trouve un soupçon de ressemblance entre les traumatismes dont les deux communautés ont souffert, chacune après sa propre expérience d’après-guerre, et les déclins démographiques qui s’en sont suivis, par émigration ou assimilation. Or, si la situation des protestants de l’Eire s’est stabilisée et si leur communauté « ne cessera d’exister que par leur propre choix », tel ne serait pas le cas du judaïsme européen, assailli qu’il est par la « troisième menace » que font peser sur lui l’immigration musulmane et l’antisémitisme européen que leur rage a réveillé. Ainsi, les descendants des survivants de la Shoah ne se sentent plus en sécurité sur le sol européen. D’où la sombre prédiction dont l’article se fait l’écho, et dont les nombres déclinants de la communauté juive française seraient l’illustration.

J’ignore d’où Harris tient ses chiffres – il y aurait eu 535 000 juifs en France en 1980 et guère plus de 500 000 aujourd’hui ; les statistiques ethno-communautaires sont aléatoires en France, pays qui refuse de compter les hommes en fonction de leur origine. Soit. Ce qui me paraît plus contestable est le pronostic lui-même. Aux arguments que j’opposais à l’article publié dans Haaretz, notamment l’absence en France d’une véritable culture antisémite et la mobilisation des autorités de l’État contre l’antisémitisme, je voudrais en ajouter deux autres, qui valent pour l’Europe entière… Lire la suite.