Tribune
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Publié le 24 Février 2012

Wagner contre les Juifs, un livre de Pierre-André Taguieff

Par Marc Knobel

Il y a dans l’œuvre de Pierre-André Taguieff une force qui mérite le respect, une érudition incroyable, un talent inégalé pour scruter, analyser, décortiquer et dénoncer l’antisémitisme sous toutes les coutures, sous toutes les latitudes, à toutes les époques. Les préjugés, les stéréotypes, les prêcheurs de haine sont méticuleusement observés en ce qu’ils ont de plus ignoble, de plus pervers, de plus retord : la haine, d’où qu’elle provienne (des islamistes aux néo-populistes), est ainsi montrée du doigt et la sentence est irréversible.

 

Il faut une force incroyable pour se livrer à un tel travail. Il faut aussi aimer le peuple juif pour vouloir dénoncer les folies et les haines qui le poursuivent. Assurément, et c’est le plus beau compliment que je puisse faire à Taguieff, il me fait penser au regretté Léon Poliakov. Il y a en lui cette force.

 

Dans son dernier ouvrage, Wagner contre les Juifs (Berg International Editeurs, Paris 2012, 397 pages), Taguieff s’attache à démontrer que, dans l’histoire de l’antisémitisme moderne, le rôle joué par Richard Wagner (1813 – 1883) est aussi important qu’incomparable. Taguieff se penche plus exactement sur son essai polémique publié en 1850, Das Judenthum in der Musik (« La juiverie dans la musique »), où il prend pour cible les Juifs dont il dénonce l’influence,selon lui, polymorphe et corruptrice.

 

Dans son essai introductif, Taguieff rapporte que, fin janvier 1942, dans l’un de ses « propos de table », tenu alors que son armée semblait partout victorieuse, Adolf Hitler déclarait : « C’est contre mon gré que je suis devenu un homme politique. Pour moi, la politique n’est qu’un moyen pour atteindre un but (…) Les guerres passent. Seules les œuvres de la culture ne passent pas. D’où mon amour de l’art. La musique, l’architecture ne sont-elles pas les forces qui montrent le chemin à l’humanité montante ? Quand j’entends du Wagner, il me semble percevoir le monde antérieur. »

 

Taguieff ajoute, dans son commentaire, qu’on peut formuler l’hypothèse qu’Hitler s’est modelé par lui-même sur la base des matériaux symboliques offerts par le wagnérisme. Il s’est rêvé en tant que dictateur-artiste, tandis qu’il se présentait dans ses discours comme l’incarnation de la providence. Ce processus avait commencé dès l’adolescence. Mais, poursuit encore Taguieff, le maître était aussi pour Hitler l’auteur de la « juiverie dans la musique » et des autres écrits politico-polémiques de Wagner, où celui-ci abordait « la question juive ». Et si Wagner était loin d’être seul dans les milieux de la haute culture européenne à professer des opinions antijuives et à les élaborer dans divers écrits, Taguieff explique (p. 123) qu’il n’en reste pas moins que cette haine des Juifs est structurée chez Wagner entre opposition, entre judaïté ou « judaïsme » et germanité, ou entre Juifs et Allemands. Le postulat est on ne peut plus simple : un individu ne pouvait pas être en même temps juif et allemand, juif et homme émancipé, juif et « purement humain ».

 

Assurément, Hitler doit beaucoup à Wagner.