CRIF Debates
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Published on 15 December 2011

Une question de principe et de stratégie

Une question de principe et de stratégie

Pour les communautés juives européennes, il faut être lucides, et ne pas se laisser berner par la fausse logique proposée par l’extrême droite, à savoir articuler en un discours raciste antimusulman les ressentiments des communautés juives, ressentiments nombreux, variés, dus tant aux expulsions des juifs des pays arabes qu’à la haine ses voisins portent à Israël.

 

Bonjour à tous,



Je suis Secrétaire Général de l’EGAM, qui structure la société civile européenne antiraciste. Présent dans une trentaine de pays sur tout le continent, de la Norvège à la Turquie, de l’Espagne à la Lettonie, en passant par la France, l’Allemagne ou encore la Roumanie, nous luttons contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations raciales, par des actions de terrain et par du lobby politique.



Les remontées des différents pays d’Europe nous obligent à établir avec lucidité un constat clair, celui de la montée des violences racistes et antisémites en Europe.



Quelques exemples parmi tant d’autres, mis à part l’attentat d’Oslo et le massacre d’Utoya que nous avons tous en mémoire.



Aujourd’hui, au cœur de notre continent, il y a régulièrement des meurtres racistes, par exemple en République tchèque et en Hongrie des meurtres de Roms, en Allemagne des meurtres de musulmans.



En Slovaquie, à Michalovce, Košice, Prešov ou Svinia, et en Roumanie, à Tarlungeni ou Baia Mare, les autorités locales construisent de véritables ghettos dans lesquels sont confinés les Roms.



En France comme sur le reste du continent, les actes antisémites sont à un niveau extrêmement élevé, que ce soient les violences contre les personnes ou contre les biens, notamment les profanations de cimetières.



Par ailleurs, l’EGAM a conduit, en mars dernier, le premier testing européen contre les discriminations raciales.



Nous les avons mesurées à l’entrée des lieux de divertissement, notamment les boîtes de nuit de 15 pays européens.



Les populations discriminées étaient différentes à chaque fois : d’origine maghrébine ou de peau noire en Espagne, en Italie et en France, d’origine turque en Allemagne, réfugiés d’origine du Moyen-Orient en Norvège et en Suède, Roms en Serbie et en Roumanie, de peau noire en Lettonie, etc.



Les résultats ont été extrêmement inquiétants : en moyenne en Europe, un lieu testé sur deux pratiquait la discrimination raciale, et le phénomène est en augmentation.



Enfin, toutes les organisations de terrain nous indiquent que les stéréotypes et les préjugés antisémites et racistes s’expriment avec de plus en plus de facilité et circulent avec de plus en plus de permissivité dans toute l’Europe.




Ce constat inquiétant n’est pas le résultat du hasard. Il est la conséquence de l’influence intellectuelle et politique croissante des mouvements et partis d’extrême droite en Europe.



Là encore, les exemples foisonnent, et je n’en prendrais que quelques uns.



Thilo Sarrazin est l’illustration de la séduction qu’exercent les idées d’extrême droite sur de nombreuses personnalités.



Ce membre du SPD allemand a publié l’année dernière un livre, intitulé « L’Allemagne court à sa perte » dans lequel il parle d’un « gène particulier des juifs » et affirme que les immigrés turcs musulmans sont génétiquement incapables de s’insérer dans la société allemande. Son livre a été une des meilleures ventes de l’année, et tous les sondages d’opinion ont montré un soutien fort à ses thèses racistes.



Pour prendre un exemple français, j’aurais pu citer notamment l’avocat Gilbert Collard, président du Comité de soutien à la présidente du Front National.



Certains partis d’extrême droite exercent une influence forte sur le gouvernement en place, comme l’antisémite et anti-Roms Jobbik en Hongrie sur le Fidesz au pouvoir.



Certains autres exercent une influence d’autant plus forte qu’ils font partie du gouvernement, comme c’est désormais le cas pour le LAOS en Grèce, ou qu’ils en sont les soutiens parlementaires indispensables, comme le Parti de la Liberté du néerlandais Geert Wilders, ou, jusqu’à il y a quelques semaines, le Parti du Peuple danois. Ce dernier a réussi à faire du Danemark le pays européens où la législation sur l’immigration est la plus dure et où les subventions aux organisations de défense des droits de l’homme ont été pratiquement supprimées.



J’ai volontairement placé dans le champ de l’extrême droite plusieurs partis et mouvements qui sont souvent aujourd’hui appelés « populistes », notamment le Parti de la Liberté de Geert Wilders, aux Pays-Bas.



En effet, si ces partis ont tous une dimension populiste, ils n’en demeurent pas moins à l’extrême droite de l’échiquier politique, car, malgré les ravalements de façade de leurs discours publics, leur mécanique intellectuelle reste la même, c’est-à-dire structurée par l’obsession de la définition et l’identification de « l’ennemi de l’intérieur », à expulser ou à exterminer.
Jusqu’à il y a quelques années, cet « ennemi de l’intérieur », c’était le Juif, ennemi ontologique et invisible.
Un des changements opéré par les courants ou partis de l’extrême droite européenne des dernières années est l’abandon, pour certains purement cosmétique, pour d’autres plus profond, de la haine du juif comme élément unificateur.



Désormais, c’est le racisme anti musulman, et ses déclinaisons dans les différents pays – haine des immigrés, racisme anti-arabes,… - qui fait office de vecteur principal d’unification des extrême droites au niveau européen, même si l’antisémitisme et le racisme anti Roms sont également des éléments partagés.



Ainsi, la mécanique intellectuelle de l’extrême droite reste celle de l’antisémitisme, mais elle s’attaque désormais principalement à d’autres catégories de la population, avec la même obsession de la pureté et de l’élimination de « l’ennemi de l’intérieur ».



C’est cette logique qui est à l’œuvre dans le mythe de « la lutte contre l’islamisation de l’Europe », mythe qui a pris naissance en bonne partie dans la guerre de Bosnie et les charniers de Srebrenica.



C’est au nom de ce même combat mythique que le tueur d’Oslo et d’Utoya a réalisé son massacre.



Les changements de façade des discours de l’extrême droite ne sont donc pas une marque de modération de son idéologie ou de sa démocratisation, mais la conséquence d’une conviction simple et juste : la prise de pouvoir est désormais possible, et il leur faut mettre en place une stratégie en conséquence.



En faisant mine d’adopter certains éléments de consensus de leurs sociétés, comme la laïcité en France ou la liberté d’expression aux Pays-Bas, les partis d’extrême droite cherchent une normalisation qui est nécessaire à leur accession au pouvoir, qu’il soit national ou local.



Mais la véritable condition de leur accès au pouvoir est soit le chaos politique, comme c’est le cas en Grèce aujourd’hui, soit la reconnaissance de la rupture de leur filiation d’avec les forces politiques qui organisèrent l’extermination des juifs d’Europe pendant la seconde guerre mondiale.



Or, in fine, ce ne sont les institutions de la communauté juive, et elles seules, qui peuvent leur apporter cette reconnaissance, ou la leur refuser.



C’est cette mystification que Geert Wilders a réussi avec le PVV, en faisant alliance, au nom d’une supposée « lutte commune contre l’islamisation », avec certaines organisations de la communauté juive américaine, ou avec certains dirigeants de la communauté juive néerlandaise, et en étant reçu officiellement à plusieurs reprises en Israël.



C’est cette mystification qu’a tenté Marine Le Pen lorsqu’elle a voulu, l’année dernière, se faire inviter sur une radio communautaire juive – ce qui n’a heureusement pas été le cas grâce à l’action salutaire du CRIF et de l’UEJF.



Pour les mêmes raisons, elle a voulu rencontrer l’Ambassadeur d’Israël à l’ONU, et le rôle que ce dernier a accepté de jouer à son service ne manquera pas d’avoir de funestes conséquences.



Les organisations juives, à travers toute l’Europe, se doivent d’être lucides sur l’importance qui est la leur, car au-delà des quelques dizaines de milliers de voix qu’elles pourraient éventuellement représenter, elles sont au centre d’un enjeu symbolique et politique fondamental.



Elles peuvent, comme aux Pays-Bas, contribuer à ouvrir la voie du pouvoir à l’extrême droite ou bien, comme c’est le cas en France jusqu’à aujourd’hui, contribuer à continuer à l’inscrire dans le camp dans lequel elle se situe véritablement : celui de la haine et d’une famille politique qui porte en elle le crime.



Pour cela, les institutions des communautés juives devront résister aux sirènes de la théorie de « l’ennemi principal », agitée par les partis d’extrême droite. Ceux-ci tente d’instrumentaliser les ressentiments d’une partie de la communauté juive vis-à-vis du monde arabe pour proposer une alliance perverse contre un supposé « ennemi » commun.



Dans cette tentative, ces partis européens d’extrême droite reçoivent le soutien actif de ceux qui, en Israël, adoptent la thèse du « choc des civilisations », notamment les partis d’extrême droite.



Pour les communautés juives européennes, il faut être lucides, et ne pas se laisser berner par la fausse logique proposée par l’extrême droite, à savoir articuler en un discours raciste antimusulman les ressentiments des communautés juives, ressentiments nombreux, variés, dus tant aux expulsions des juifs des pays arabes qu’à la haine ses voisins portent à Israël.



C’est tout d’abord une question de stratégie. Le Parti pour la Liberté néerlandais a par exemple permis de faire interdire tout abattage rituel aux Pays-Bas, rendant impossible la production de viande casher.



En effet, la mécanique de l’extrême droite n’est pas spécifique à la population qu’elle cible de la manière la plus visible, mais le recul des droits des uns annonce le recul des droits pour les autres et, in fine, pour tous.



C’est surtout une question de principe et de valeurs, et c’est également de ces valeurs dont a besoin la lutte contre l’antisémitisme et contre le racisme en Europe aujourd’hui.