Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Lectures de jean Pierre Allali: Tunisie AN 1, Journal Tunisien 1955-1956 par Albert Memmi

14 March 2017 | 132 vue(s)
Catégorie(s) :
France

Vendredi 9 août 2024, s'est tenue la cérémonie en hommage aux victimes de l'attentat terroriste de la rue des Rosiers, organisée par le Crif en collaboration avec la Mairie de Paris. La cérémonie s'est tenue devant l'ancien restaurant Jo Goldenberg, au 7 rue des Rosiers. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé dans la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, en dénonçant notamment celle qui se cache derrière la détestation de l'Etat d'Israël.

Mardi 16 juillet 2024, s'est tenue la cérémonie nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d'hommage aux Justes de France, commémorant la rafle du Vél d'Hiv organisée par le Crif en collaboration avec le Ministère des Armées. Cette année, à l'approche des Jeux Olympiques, la cérémonie s'est tenue au Mémorial de la Shoah. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé, dans un contexte national et international difficile.

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Né à Tunis en 1920, Albert Memmi, s’il a été considéré, à travers certains de ses romans, comme le chantre du judaïsme tunisien, demeure surtout, le théoricien du colonialisme

Ses « Portraits du colonisé et du colonisateur » sont étudiés dans les facultés d’Afrique du Nord et du tiers-monde. Homme de gauche, partisan de l’indépendance de son pays natal, il sera néanmoins contraint à l’exil, constatant, à son grand désespoir, que les Juifs, bien que d’implantation plus ancienne que les Arabes dans le pays,  n’avaient pas leur place dans une Tunisie indépendante.

Marié à Germaine Dubach, une Alsacienne catholique pratiquante, Albert Memmi, après avoir poursuivi des études supérieures à Alger et à Paris, était revenu au pays natal en 1949. La Tunisie est alors en pleine ébullition et les velléités d’indépendance se précisent.

Dans son appartement parisien, Memmi a, au fil des ans, accumulé, rangés dans des tiroirs, des cahiers d’écolier, des petits carnets à spirales voire de simples feuilles volantes, des notes qui sont autant de parcelles d’un journal intime qu’il désigne comme son « garde-manger ».

C’est ce véritable trésor que Guy Dugas, grand spécialiste de la « littérature judéo-maghrébine » a dépouillé et classé. Les notules proposées couvrent les années 1955-1956, années cruciales de l’autonomie interne et de l’indépendance. On y découvre tout à la fois, des considérations politiques, des indications sur des conversations avec des personnalités ou encore et des informations à caractère personnel.

Quelques exemples :

« J’ai donc choisi de tout dire ou de me taire »

« Je suis content, en somme, de vivre cette aventure tunisienne »

« En bref, sur le fait Français en AFN, je souhaitais la fin de leurs privilèges, mais pas la fin de leur présence en tant qu’hommes »

« Cette surenchère que je fais vis-à-vis des Tunisiens musulmans, m’empêche actuellement de m’affirmer ce que je suis véritablement. Par exemple ambigu vis-à-vis des Français  (et non seulement hostile). Et par exemple l’État d’Israël »

«  Jeudi 15 mars : Il paraît que des inscriptions antisémites sont faites sur des billets de banque tunisiens (d’après le journal du Haut Commissariat français) »

«  L’Indépendance totale de la Tunisie est aujourd’hui proclamée. Cela me laisse froid, sinon inquiet. Comme tout le monde ici, sauf les musulmans. Bien que, bien entendu, je trouve cela historiquement juste et heureux »

« Si je creuse, tout s’effrite. Pourquoi je dois être solidaire des Juifs ? Parce que je suis né de parents juifs. Et après ? »

« Ainsi la Tunisie entre définitivement dans le concert des nations arabes : il n’y a plus de place pour nous. Car il nous est impossible désormais d’accepter faire partie d’une nation ennemie d’Israël »

« Bourguiba a institué maintenant une dictature complète : il a tous les rôles et tous les droits »

« Les Juifs foutent le camp et vendent ce qu’ils peuvent. Et cela ne fait pas plaisir aux Arabes. »

«  4 000 Juifs partent la semaine prochaine pour Israël. Le ghetto se vide lentement et chaque boutique abandonnée par un Juif  lentement se remplit d’Arabes »

 

Et, pour ce qui est des détails à caractère personnel et familial :

« Lundi 24 octobre : Au hammam : la lumière glissait mal, restait collée aux pierres humides, comme des traces de graisse »

« Le 19 déc.55 : Ce matin, Germaine est littéralement assaillie au marché par les petits porteurs. L’un d’eux, avec qui elle avait fait un prix, lui a barré la portière de la voiture et elle a été obligée de le repousser avec quelque force »

 

Au fil des pages, on est étonné de constater que le nombre de Juifs communistes rencontrés et cités par Memmi est impressionnant : Paul Sebag, Georges Attal, Roberte Bigiaoui, Georges Valensi, André Baranès, Maurice Nisard…

Albert Memmi le constate d’ailleurs : « Beaucoup sont communistes. C’est là une solution juive assez répandue. »

Dans les derniers jours d’août 1956, les Memmi, après avoir vendu leur villa de Beausite, ont gagné Strasbourg puis Paris. Après un retour provisoire de quelques années au pays natal, Albert Memmi et les siens ont choisi de vivre définitivement en France.

Un petit livre très intéressant.

 

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions du CNRS. Édité et annoté par Guy Dugas. Suivi de « Tunisie, un pays d’opérette » et de « Autres écrits des années tunisiennes ». 232 pages. Janvier 2017.