Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Blog du Crif - L’accord entre Israël et les Emirats, par Richard Prasquier

24 September 2020 | 219 vue(s)
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Texte de Richard Prasquier, ancien président du Crif, également publié dans l'hébdomadaire Actualité Juive.

En 2015, Dore Gold, Directeur Général du Ministère Israélien des affaires étrangères inaugurait un bureau israélien à Abou Dabi à l’Irena, l’Agence de l’ONU pour les Energies renouvelables. Depuis lors, d’une année sur l’autre, outre une présence (et des succès) de judokas israéliens toujours plus spectaculairement affichés,  Abu Dhabi était devenue une nouvelle destination pour des hommes d’affaires et diplomates israéliens, parmi eux le chef du Mossad Yossi Cohen.

Mohammed ben Zayed Al Nahyane (MBZ) héritier du trône et dirigeant de fait des Emirats a été pilote militaire et réagit en homme de guerre à deux menaces: l’Iran qui pousse ses pions dans un Golfe Persique fabuleusement riche en pétrole, mais dont la population est en grande partie chiite (y compris sur le versant « arabique ») ; le mouvement des Frères Musulmans qui a tenté de l’endoctriner dans sa jeunesse. MBZ a été au premier rang pour tenter d’isoler le Qatar, qui a servi depuis des années de base de repli et de propagande pour les Frères et qui entretient des relations cordiales avec l’Iran (ce qui n’a rien de contradictoire si on se rappelle que le chiite Khomeiny était un grand admirateur de Hassan El Banna, le fondateur des Frères Musulmans). 

Pour MBZ le tropisme pro-iranien de l’administration Obama était insupportable. Un homme au moins en Israël a exprimé fortement sa détermination à contrer  la menace iranienne: c’est Benjamin Netanyahu et un homme au moins aux Etats Unis partage sa détestation de l’Iran, c’est Donald Trump. Il en résulte logiquement la signature du récent accord de normalisation. Normalisation, et non paix, car les Emirats créés en 1968 n’ont pas participé aux guerres et aux déroutes arabes et ont peut-être de ce fait moins cultivé un sentiment d’humiliation revancharde.

Bien sûr, confinement aidant, les images de l’accord font pâle figure à côté de celles de l’accueil de Anouar Al-Sadate il y a 43 ans. Bien sûr aussi, les protagonistes ont un « agenda » intérieur transparent : pour Trump montrer avant les élections qu’il est un deal-broker exceptionnel, ce dont il est le seul à ne pas douter, pour Bibi, confirmer (avant de nouvelles élections ?) que sa vista en politique étrangère est inégalable (ce que même ses ennemis lui reconnaissent) et pour MBZ, qui n’a pas d’opinion publique à convaincre, plaider auprès du Sénat américain l’autorisation d’achat des F35 dont il rêve (ce qui inquiète d’ailleurs bien des Israéliens).

Les commentateurs constatent et le plus souvent fustigent le fait que l’accord laisse les Palestiniens de côté, bien qu’il s’accompagne de la mise sous le boisseau, critiquée à droite, saluée à gauche, une première pour Benjamin Netanyahu, de la décision d’annexion d’une partie des implantations israéliennes. Mais c’est probablement parce qu’il n’a pas l’ambition de résoudre le problème palestinien que ce texte peut aider à sa solution. 

La question palestinienne et la haine d’Israel ont servi au panarabisme, à l’islamisme chiite et sunnite, et à diverses ambitions personnelles, comme d’un foyer central où rallumer les passions des foules. Un tel embrasement qui s’est étendu en partie dans nos pays, ne se satisferait pas d’une solution de compromis. Il implique la recherche de la fin de l’Etat d’Israel, sous forme violente ou « soft » (la proposition de la Ligue arabe en 2003). Mais Israël n’a pas vocation au suicide.

Les peuples musulmans continuellement focalisés sur cette haine en ont été les premières victimes, et une longue phase de désensibilisation est nécessaire. L’invocation de la « centralité » du conflit israélo-palestinien est aujourd’hui un moyen sûr de ne pas le résoudre et de laisser le champ libre aux extrémistes. C’est pourquoi l’accord entre Israël et les Emirats, parce qu’il repose sur des intérêts objectifs communs et qu’il tient les mythes à distance, peut faciliter le travail de la raison dans une région où, on le sait, la raison n’est pas la vertu première.

Richard Prasquier