Le billet de Léa Landman – Remettre les acteurs à leur vraie place

26 September 2024 | 148 vue(s)
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Après le retour des corps des six otages exécutés par le Hamas, des centaines de milliers d’Israéliens sont descendus dans les rues. C’était la plus grande mobilisation depuis le 7 Octobre.

La presse occidentale s’est trompée d’angle en couvrant ces manifestations. Elle s’est également trompée sur les enjeux qui sont ceux de la société israélienne. N’en déplaise à la lecture erronée de certains, Israël est toujours une démocratie. Une démocratie battante, qui traverse une grave crise interne, – certes – mais qui est aussi en guerre sur sept fronts différents. La démocratie israélienne bat aux rythmes d’une société civile vibrante et très impliquée, mais aussi d’une opposition fonctionnelle et très vocale sur ses désaccords.

Il est primordial de comprendre. Une partie des Israéliens veut un cessez-le-feu jusqu’à la libération du dernier otage et ce, à n’importe quel prix. Une autre partie de la population veut la libération des otages mais veut également être assurée que la sécurité du pays prime. Une autre partie encore de la population, veut voir un accord se faire mais craint de voir des milliers de prisonniers palestiniens être libérés, incluant ceux qui ont perpétré ou planifié des attentats contre Israël, ou pire encore, qui ont participé aux massacres du 7 Octobre. Enfin, une dernière partie veut un accord, mais pas celui-ci.

Pour toutes ces parties de la population, l’espoir d’un accord prochain et imminent a été à portée de main. Les espoirs déchus et l’attente impliquent beaucoup d’émotions et également beaucoup d’opinions divergentes et débordantes. Le sentiment aussi, comme dans toutes les démocraties occidentales, que le gouvernement est investi d'hommes politiques qui ne sont pas à la hauteur, ni de la société ni de la situation. L’ampleur de ces manifestations, c'était aussi cela.

Parmi la population, de multiples fractures existent le long de lignes très distinctes et variables. Entre religieux, ultra religieux, et séculaires, entre partisans de droite et partisans de gauche, entre les 120 000 réfugiés du 7 Octobre, du nord et du sud du pays et ceux qui n’ont pas été déplacés, mais aussi entre ceux qui sont eux-mêmes sur le front et ceux qui ont de la famille au front, ceux qui ne servent pas dans l’armée, etc.

Une chose est certaine et très incomprise en dehors d’Israël, et cela se retrouve clairement dans les papiers des médias internationaux, les réseaux sociaux et les discours politiques, les désaccords que certains désigneraient aisément comme des « déchirements » de la société israélienne ne se réduisent absolument pas à « pro Bibi » ou « contre Bibi ».

Israël est un pays de près de 10 millions d’habitants qui comprend 73 % de Juifs, 21 % d’arabes musulmans, chrétiens et druzes, et 6 % de personnes définies comme « autres ».

L’identité, dans toutes ses formes et déclinaisons, et notamment religieuses, est donc centrale et se traduit en opinions politiques, et en partis politiques avec des intérêts parfois très différents, voire opposés. Israël est une société très politisée, c’est une jeune démocratie qui pulse, et comme beaucoup de démocraties occidentales, qui se cherche aussi.

Cette pluralité identitaire et d’opinion est l’essence de la nature profonde des manifestations que le pays a connu récemment. Faussement décrites comme des manifestations gauchistes, elles représentent bien plus que de simples mobilisations mono opinion, de personnes se considérant à gauche sur l’échiquier politique. Elles représentent la diversité et les contradictions parfois d’une société en mouvement. Bien que les conclusions puissent être différentes, la société israélienne se pose globalement les mêmes questions, sur ses valeurs démocratiques, ses valeurs religieuses, sa sécurité, et son avenir, dans la région et en général.

Ces manifestations sont ainsi le signe d’une très grande pluralité dans une société en deuil, et dans un pays traumatisé qui vit dans une peur existentielle. La dimension de la peur existentielle d’Israël et de son peuple est centrale pour comprendre les enjeux de ce pays et de sa société. Israël est une démocratie en guerre depuis un an, sur sept fronts différents, avec des ennemis dont l’objectif proclamé est sa disparition.

Tout cela, sans parler des 101 otages qui sont encore dans la bande de Gaza.

Israël c’est donc une opinion publique très divisée, – et on fait face à des opinions publiques divisées dans le monde occidental pour bien moins.

Pour comprendre la détresse des Israéliens, il faut aussi comprendre la géographie de ce pays. Israël est un tout petit territoire où la population entière est connectée et ce, même si le pays peut parfois sembler se déchirer. Depuis le 7 Octobre, chaque Israélien, ou presque, connaît directement ou indirectement une personne qui a été blessée, kidnappée ou assassinée. Dans cette démocratie complexe, installée sur un territoire étroit, les tensions et les clivages stratégiques et idéologiques s’entremêlent au gré des émotions et des opinions, mais le sort de tous est lié. Littéralement.

Enfin, un dernier point essentiel pour comprendre ces manifestations, et Israël post-7 Octobre. Personne en Israël n’a besoin d’aide pour identifier l’ennemi ni d’être convaincu que l’ennemi, c’est le Hamas. Personne n’a besoin d’être convaincu de la nécessité de l’éliminer et de garantir la sécurité de l’État. Même ceux qui appellent à la fin de la guerre.

Les Israéliens ne se trompent pas d’ennemis. Les Israéliens ne se trompent pas non plus sur la responsabilité du Hamas dans cette guerre, qu’un trop grand nombre de médias, d'hommes politiques, d'organisations internationales et une partie du public semblent occulter. Ils ne sont pas confus.

En revanche, les Israéliens savent qu’ils n’ont aucun levier sur le Hamas. Ils peuvent simplement tenter d’influencer leur propre gouvernement, quel qu’il soit. À charge de responsabilité, c’est bien le Hamas qui a tiré les balles qui ont abattu les six otages récemment ramenés en Israël.

 

Léa Landman

 

Léa Landman est experte en géopolitique, elle dirigeait le programme de diplomatie à l'Institut de Diplomatie et d’Affaires étrangères à l'Université Reichman en Israël.

 

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