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Le Crif : À un an des élections municipales, quel est l’ampleur et la nature des difficultés ressenties par les maires dans l’exercice de leur mandat ? On évoque une difficulté à les convaincre de renouveler les candidatures ; ce malaise est-il marginal ou au contraire significatif ?
David Lisnard : Le mandat de maire est le plus beau, mais sans doute l’un des plus exigeants qui soient. C’est un combat quotidien, bénévole pour 80 % des élus locaux, pour faire fonctionner les services publics de proximité, faire aboutir ses projets et ses engagements. Toute initiative bute sur une multitude d’entraves qui fragilisent l’action publique locale et donc la confiance. C’est d’ailleurs la première cause de démission des élus. Les entraves trouvent leur origine dans les normes, la bureaucratie mais aussi dans la réduction des capacités financières des communes qui voient leurs budgets ponctionnés année après année et les impôts locaux nationalisés.
C’est aussi un engagement de tous les instants pour écouter, accompagner et répondre aux sollicitations des habitants, qui sont de plus en plus exigeants, qui se comportent parfois en consommateurs de service public et qui attendent désormais des réponses immédiates. Cette pression croissante rend l’investissement plus lourd et les fruits de l’effort parfois incertains.
Ce sont également des moments de tension et d’inquiétude très forts lorsque le maire fait face à des crises et qu’il se retrouve en première ligne pour assurer la sécurité et répondre aux urgences. Il est bien souvent le garant de l’apaisement face à des drames humains. Enfin, il est personnellement exposé, y compris sur le plan juridique.
Néanmoins, le maire et son action restent plébiscités. En 2024, 70 % des Français se disent satisfaits de leur maire. L’enquête que nous avons publiée en mars dernier avec le Centre d’études de la vie politique de Sciences Po-CNRS (Cevipof) sur l’état d’esprit des maires démontre qu’il n’y a pas de crise des vocations à l’échelle nationale. Cela étant, il nous appartient, à l’Association des Maires de France (AMF) et à chacun et chacune dans nos communes, de s’assurer que ce lien de confiance perdure, voire se renforce. Nous devons encourager dès maintenant les Français à s’engager et à s’intéresser à cette élection exceptionnelle, par son ampleur et sa proximité. Notre démocratie est précieuse, il faut l’entretenir et ne pas attendre de la perdre pour en apprécier la valeur.
C’est pourquoi l’AMF a lancé, le 1er avril dernier, la campagne des municipales 2026 avec un message : « engagez-vous ! » Nos communes font face à des défis colossaux : transition écologique, développement économique, cohésion sociale et territoriale, etc. Pour bâtir la France de demain, chaque voix, chaque proposition, chaque action compte, en partant des communes.
Le Crif : Les adhérents du parti Les Républicains (LR) vont prochainement élire leur président. Vous avez affirmé votre soutien à Bruno Retailleau ; quelles en sont les raisons principales et pensez-vous pour autant que le prochain président de LR devra forcément être candidat à la prochaine présidentielle ?
David Lisnard : Je suis tout à fait en phase avec ce que fait Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur, que je connais depuis plusieurs années pour avoir cheminé ensemble, jusqu’au bout, durant la campagne de François Fillon. Je lui ai donc apporté mon soutien, d’autant qu’il s’est engagé à défendre, s’il devenait président des Républicains, trois propositions cardinales de mon parti Nouvelle Énergie : la retraite par capitalisation, la simplification et la refondation de l’école. J’essaie par ce geste d’enclencher une dynamique à droite, en augmentant l’audience de mes idées et en ramenant dans le giron de LR nombre d’anciens électeurs déçus, qui ont trouvé dans l’offre ordo-libérale que je m’efforce de porter une réponse à leur demande, jusqu’alors insatisfaite.
Maintenant, chacun doit rester lucide sur sa propre condition. Les Républicains n’ont pesé qu’à peine 5 % des voix à la dernière élection présidentielle. Il serait illusoire et tellement vaniteux de supposer que c’est un socle suffisant pour rassembler les électeurs lors de la prochaine élection. C’est pourquoi, en l’absence de champion naturel de la droite, j’appelle à une large primaire pour départager les multiples candidatures qui se profilent. Si nous sommes divisés, ce sera soit le Rassemblement National (RN), soit l’extrême gauche qui arrivera au pouvoir en 2027. Entre les conformistes et les dangereux révolutionnaires, une troisième voie fondée sur une offre radicale de droite doit pouvoir l’emporter.
Le Crif : Depuis le 7 octobre 2023, la France a connu une flambée inédite des actes et menaces antisémites. Le ministère de l’Intérieur a mesuré aussi une hausse des actes de racisme anti musulman, un jeune musulman, Aboubakar Cissé, a été sauvagement assassiné dans une mosquée du Gard. Comment réagissez-vous à ces violences déchaînées, quelles leçons doivent être tirées et quelles mesures prioritaires sont à prendre ou à renforcer ?
David Lisnard : Je n’aurais jamais cru, dans un pays et un continent si durement marqués par l’horreur du nazisme et de la Shoah, connaître une telle résurgence de l’antisémitisme à notre époque. À ce titre, je n’aurais jamais cru devoir clamer un jour, pour dire ma solidarité : « je suis juif ». Cette flambée des actes antisémites depuis le 7-Octobre, comme l’assassinat effroyable d’un jeune musulman dans une mosquée du Gard sont une honte pour la France, un échec pour l’État, qui faillit dans la première de ses missions : protéger. Je ne fais aucune hiérarchie dans l’horreur. L’antisémitisme comme les actes anti musulmans et anti chrétiens, bien qu’ils se manifestent dans des proportions différentes, doivent être combattus avec la même détermination.
Cette violence est d’autant plus sournoise qu’elle s’attaque à la liberté de conscience des individus, qui est un des principaux acquis de la démocratie libérale dans laquelle nous avons le privilège – de plus en plus rare de nos jours – de vivre. On peut ne pas aimer, voire détester une religion. Mais s’attaquer à un individu pour ce qu’il est, c’est la définition du racisme, et c’est une abjection. La meilleure façon de lutter contre cela, c’est de former des citoyens éclairés, suffisamment forts d’esprit pour échapper aux nouveaux totalitarismes, qu’ils soient islamiste ou wokiste, par une instruction publique exigeante, dès le plus jeune âge. C’est un des piliers du projet que je défends avec Nouvelle Énergie.
Cette force donnée par la liberté doit ensuite s’articuler avec l’ordre républicain, garant de la paix civile et de la justice. L’État doit pour cela être urgemment réarmé dans ses missions régaliennes, grâce à une redéfinition de son périmètre d’action. Moins de dépenses superflues, moins de lois bavardes, donc moins de bureaucratie : c’est le préalable indispensable pour avoir plus de policiers, plus de magistrats ou de greffiers, avec plus de marges de manœuvre. C’est ainsi que l’on restaurera la concorde nationale.
Le Crif : Certaines forces politiques, aux extrêmes, tendent à réagir variablement en fonction de l’origine ou de la religion des victimes. Cette sélectivité, sous prétexte de protection soi-disant « identitaire », n’est-elle pas très inquiétante, n’est-elle pas la marque d’un grave affaiblissement des principes républicains français ? Comment faire face aux risques du relativisme, qui sape le principe constitutionnel d’Égalité devant la Loi et les règles de l’État de Droit ?
David Lisnard : La force de la République Française, c’est qu’elle est universelle, pas à géométrie variable, ni à la carte, au contraire d’une lecture plus anglo-saxonne de la société, qui tend à prendre racine chez nous. La République ne reconnaît que des citoyens, pas des communautés. Elle ne reconnaît aucune hiérarchie dans les souffrances, aucune distinction entre les victimes ni les coupables en fonction de leurs origines ou de leur foi. L’universalisme républicain n’est pas qu’un vague concept. C’est le principe qui doit nous permettre, à condition que l’État y veille implacablement, de vivre en paix, au contraire des sociétés multi-ethniques et multiculturelles, qui sont en fait multi-conflictuelles, car les communautés y sont dans une compétition permanente, voulant chacune faire primer leurs particularismes, leurs mœurs, leurs conceptions sur les autres. Certains, en particulier à l’extrême gauche, jouent de ces ressentiments, qu’ils soient légitimes ou non, les nourrissent et en tirent une rente électorale. Le plus grand danger pour la vie politique française, je le répète, c’est cette extrême gauche racialiste, « décoloniale », antisémite, qui est un agent du chaos.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
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