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Publié le 12 Mai 2011

Il n’y a pas eu de printemps iranien

Il n’y a pas eu de printemps iranien. En moins de deux ans, le mouvement vert a été méthodiquement laminé. Ses leaders Mehdi Karoubi et Mir-Hossein Mousavi sont depuis le 14 février placés en résidence surveillée. Coupés du monde.




C’est une pratique courante de la République islamique. Déjà les ayatollahs dissidents Chariat-Madari et Montazeri, qui avaient défié l’imam Khomeini, avaient été ainsi, sans autre forme de procès, assignés à vie à résidence. Pas d’acte d’accusation, pas d’arrestation pour ceux que le régime appelle les "séditieux". Karoubi et Mousavi ont été purement et simplement occultés, neutralisés, kidnappés. En ne les arrêtant pas officiellement, le régime espère ainsi éviter d’en faire des martyrs.



Arrestations, pression, tortures...



"Les arrestations ciblées, la pression exercée sur les familles d’opposants, les tortures en prison, l’omniprésence de la surveillance des services de renseignements qui sont malheureusement en Iran extrêmement "performants" ont condamné le mouvement vert à devenir souterrain, explique un journaliste iranien actuellement au chômage forcé, un régime qui se sait détesté par la majorité de la population reste en permanence sur ses gardes et ne peut être renversé par surprise. La paranoïa est devenu au sommet de l’Etat l’idéologie officielle. Nous applaudissons les révolutions arabes, que le régime a le culot de saluer comme la manifestation d’un 'réveil islamique', mais, avec amertume, nous n’oublions pas qu’en juin 2009, lors des grandes manifestations pacifiques, c’est la jeunesse verte qui a inventé la révolution facebook et, avec les téléphones portable, a fait de chaque manifestant un reporter en puissance."



Crise politique



Aujourd’hui, après avoir écrasé et disqualifié toute forme d’opposition, le régime iranien s’offre le luxe d’une invraisemblable crise politique au sommet. Tout a commencé par le limogeage par Mahmoud Ahmadinejad de son ministre du Renseignement, Heidar Moslehi, un religieux très proche du Guide suprême, Ali Khamenei. Celui-ci était soupçonné par Ahmadinejad d’espionner son propre directeur de cabinet, Esfandiar Rahim Mashaie, bête noire des partisans du Guide suprême et gourou du président. Aussitôt, Khamenei est intervenu pour imposer le maintien du ministre à son poste, désavouant ainsi publiquement Ahmadinejad qu’il avait pourtant jusque là toujours soutenu. S’en est suivi une extravagante bouderie présidentielle qui a décidé de faire la grève de ses fonctions pendant une dizaine de jours. Ce n’est que le 1er mai qu’il a retrouvé le chemin de ses bureaux après avoir assuré que les ordres du Guide sont comme ceux d’un père à son fils. Mais pendant ce temps-là, la presse et les députés khameneistes se sont déchaînés avec une rare violence contre Ahmadinejad pour son crime de lèse imam, martelant que l’obéissance au Guide est un "devoir religieux" et que lui désobéir relève de l’apostasie. Bref, que l’infaillibilité du Guide est un dogme absolu. Simultanément, s’est développée une campagne féroce contre le protégé du président, Mashaie, accusé d’être son mauvais génie, un "déviationniste" notoire à la ligne de l’imam, voire un franc-maçon.



Partisan de la mise à l'écart des mollahs



Mashaie est un personnage atypique et complexe dans le cadre de la République islamique. Il est détesté par les ultraconservateurs pour ses hommages nationalistes aux valeurs de l’Iran préislamique, sa défense de l’existence d’une "école iranienne" de l’islam, et sa croyance mystique dans le fait que le devoir sacré des politiques est de tout faire pour accélérer le retour du Mahdi, l’Imam caché. De plus, Mashaie est partisan de la mise à l’écart des mollahs de la vie politique de la République islamique. Précisons que sa fille a épousé le fils d’Ahmadinejad. La riposte des ultras du régime a été immédiate. Une vingtaine de fidèles d’Ahmadinejad et de Mashaie ont été arrêtés, dont Abbas Amirifar, imam de la prière de la présidence, pour – et c’est une histoire de fou – "sorcellerie", commerce avec les djinns et les démons et "connections avec des mondes inconnus". Rien que cela. La République islamique vient de lancer la chasse aux sorciers. Cet affrontement fratricide entre le Guide et le président est le signe de la nervosité qui règne au sommet de l’Etat. La lutte pour le pouvoir est portée au cœur même de la République islamique. Pour l’heure, les chefs des Gardiens de la Révolution semblent soutenir la Guide.



Pour combien de temps ?



Article de Gilles Anquetil publié dans l’édition du 12 mai 2011 du Nouvel Observateur



Photo : D.R.
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