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Publié le 8 Février 2011

L'ombre des Frères musulmans

L'Égypte est en ébullition. La plupart des partis politiques ont participé aux émeutes, les plus graves qu'a connues le pays. Mais, fait inexplicable, les Frères musulmans n'y ont pas officiellement pris part. Leur guide suprême, Mohamed Badie, a laissé ses militants libres de manifester ou non. Interdits mais tolérés, les Frères musulmans forment aujourd'hui le plus important mouvement d'opposition.




Les Ikwanes - les Frères, en arabe - n'ont pas légalement le droit de participer à la vie politique, puisque la Constitution égyptienne interdit les partis religieux. Aussi des membres de la confrérie font-ils campagne sous l'étiquette d'"indépendants". Leur slogan, "l'islam est la solution", leur tient lieu de programme. Tout a commencé en 1928, quand un instituteur, Hassan el-Bana, s'est insurgé contre la vie jugée frivole, contraire aux préceptes de l'islam, menée par la grande bourgeoisie du Caire et d'Alexandrie. Le mouvement qu'il organise prône un retour à la stricte observance des préceptes du Coran. Dans les années 1940, la confrérie compte déjà deux millions d'adeptes et commence à inquiéter l'État. D'autant plus que Hassan el-Bana demande l'application de la charia (le droit coranique) et veut que la confrérie soit associée à la vie politique.



Relations en dents de scie



Les Frères musulmans ne reculent pas devant la violence et vont assassiner deux Premiers ministres, Ahmed Maher Pacha (en 1945) et Nokrachi Pacha (en 1948). Devenus un réel danger pour l'Égypte, les Ikwanes sont pourchassés et la police secrète élimine Hassan el-Bana, le 12 février 1949.



L'absence de transparence dans l'organisation du mouvement lui permet de survivre. En 1952, Gamal Abdel Nasser et Anouar el-Sadate prennent des contacts discrets avec les Frères musulmans et obtiennent leur appui pour détrôner le roi Farouk. Nasser ne leur en sera pas reconnaissant et, en 1954, les Frères tentent de l'assassiner à Alexandrie. La riposte du raïs est implacable. Onze dirigeants sont condamnés à mort et des milliers de militants sont emprisonnés. Virement de bord en 1970. En Égypte, comme ailleurs dans le monde arabe, le pouvoir flirte avec les Frères musulmans pour lutter contre les communistes. Mais le 6 octobre 1981, Sadate est assassiné par un soldat membre de la Jihad Islamiya, un groupuscule qui ne pardonne pas au raïs d'avoir signé la paix avec Israël.



Sous Moubarak, pendant une quinzaine d'années, les Frères et l'État ont des relations en dents de scie. En 1997, la confrérie renonce solennellement à la violence. Elle va jouer un rôle restreint au Parlement jusqu'aux élections de 2005, qui voient les "indépendants" emporter le cinquième des sièges. Mais en novembre 2010, la fraude massive aux législatives leur a concédé un seul député.



Rôle politico-social



Les Frères musulmans comptent aujourd'hui près de 20 millions de sympathisants et jouent un rôle politico-social considérable. Ils ne proposent pas seulement l'école et des dispensaires gratuits mais accordent aussi des subventions aux déshérités. Bien plus, ils offrent une dot aux jeunes filles pauvres en âge de se marier.



Sous l'angle politique, les partis légaux d'opposition ont besoin du soutien des Frères musulmans. Mohamed El Baradei, ancien directeur de l'AIEA, les tient pour ses interlocuteurs principaux. Et les Frères savent qu'ils auront leur mot à dire dans l'Égypte en gestation. 40 % de la population qui vit avec moins de 2 dollars par jour y trouvera son compte.



Article de Denise Ammoun publié dans le Point du 6 février 2011



Photo : D.R.