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Publié dans Information Juive dans le numéro de septembre 2017
Avec Barbara, sa septième réalisation présentée en ouverture de la sélection cannoise Un certain regard, Mathieu Amalric n’hésite pas à transformer les rouages habituels du biopic pour mieux nous concocter, par un savant mélange d’allusions et d’illusions, un portrait onirique de la célèbre artiste disparue il y a tout juste 20 ans.
Jouant avec virtuosité d'une troublante mise en abyme, Amalric nous livre un vrai-faux biopic de la chanteuse, vue sous le prisme d’un réalisateur. Un film elliptique et fantasmatique qui retrace le tournage d'une évocation de la « longue dame brune » par une actrice-diva, parfaitement interprétée par Jeanne Balibar, elle-même chanteuse par ailleurs...
La fameuse actrice en question se prénomme Brigitte et elle doit incarner à l'écran Barbara, sous la direction d'un cinéaste dénommé Yves Zand (patronyme de la propre mère d’Amalric), lequel est manifestement transi d'amour et d’admiration. Pour la comédienne magnétique qu'il a face à lui ou pour la chanteuse légendaire qu'elle est censée interpréter ? Les deux à l'évidence, tant il est question ici d’un étonnant jeu de miroirs...
On notera aussi que ce nouvel opus d'Amalric n'est pas sans rappeler l'un de ses précédents films, Tournée (Prix de la mise en scène à Cannes en 2010), puisque l'auteurecompositrice-interprète qui fait un tour de chant à travers la France nous renvoie aux truculentes danseuses de burlesque que l’on suivait dans leur périple.
Avec brio, Mathieu Amalric se met ainsi lui-même en scène alors que de son côté, Jeanne Balibar excelle à transcender le personnage de l'inoubliable interprète de L'aigle noir. Avec subtilité, le film se joue de toute chronologie linéaire et se sert avec inventivité de nombreux documents d'archives (issus d'interviews et de concerts donnés par Barbara), lesquels se superposent aux scènes de tournage de fiction pour donner au final un puzzle assez vertigineux, dans lequel nous prenons un infini plaisir à nous perdre.
Amalric a d'ailleurs confié à la sortie de son métrage que « ce film doit être comme une drogue. Vous prenez quelque chose et vous entrez dans un rêve ».
On l'aura compris, nous sommes ici beaucoup plus proche du Saint Laurent de Bertrand Bonello que du Dalida de Lisa Azuelos !
Outre sa collaboration fructueuse avec l'Institut national de l'audiovisuel (INA), pour les images d'archives qu'il a savamment récupérées et qui font de son film une mise en abyme du processus de création, Amalric s'est aussi appuyé sur deux œuvres précieuses, qui mettent à jour le mythe Barbara, à savoir le livre de Jacques Tournier, Barbara ou les parenthèses (dont il recrée à l'écran les entretiens qui eurent lieu en 1968 entre la chanteuse et l'écrivain) et un documentaire exceptionnel réalisé par Gérard Vergez en 1972, à l'occasion d'une longue tournée de l’artiste.
Le metteur en scène de La chambre bleue (son précédent film, qui adaptait avec audace un roman culte de Simenon) a dit avoir voulu faire « un film tricoté avec des contre-champs, des recadrages, des échappées de l'actrice dans la même matière visuelle et sonore. Des rouages de récit, de fictions malaxées, organiques... Une capillarité ». Force est de constater qu’il y est parvenu, capturant la poésie et l'âme de celle qui aura définitivement marqué de son empreinte la chanson française.
Essai stylistique au montage kaléidoscopique, Barbara pourra certes décontenancer ou décevoir certains spectateurs, qui ne goûteront guère certains choix visuels ou narratifs, mais on ne peut que rendre grâce à Mathieu Amalric d'avoir délaissé la voie toute tracée de l'académisme (trop habituelle dans ce genre de films), pour mieux se focaliser sur une expérience cinématographique excitante et exigeante, qui rend superbement hommage à la créatrice de Nantes et de Göttingen.
Une femme au parcours fascinant mais aussi tragique - de la petite fille juive cachée pendant la guerre à la jeune adolescente victime d’un père incestueux - qui ne cesse d’inspirer de nombreuses interprètes et dont la trajectoire unique n'a pas fini de nous envoûter.