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Publié le 9 Septembre 2016

Le dictionnaire Franz Rosenzweig, une étoile dans le siècle(*), une recension de Jean-Pierre Allali

Un travail remarquable.
Une recension de Jean-Pierre Allali publiée sur le Blog du Crif le 9 septembre 2016
 
Franz Rosenzweig est, sans conteste, l'une des figures les plus attachantes du panthéon juif. Né le 25 décembre 1886 à Cassel, en Allemagne, il a 27 ans, en 1913, quand l'antisémitisme, dans son pays natal, connaît un essor sans précédent. Tandis qu'Houston Stewart Chamberlain, Anglais de naissance et Allemand de cœur, gendre de Wagner et antisémite invétéré, publie « Die Grundlagen des neuzehnten Jahrhunderts » ( Les fondements du XIX ème siècle) où il développe la notion de « Verjudeung », enjuivement, de l'Allemagne, les dirigeants de la communauté juive, le Zentralferein, font le gros dos et multiplient les déclarations de patriotisme. Les intellectuels juifs s'identifient à la culture allemande et Franz Oppenheimer n'hésite pas à déclarer : « Mein Deutschum ist mir ein Heiligtum » ( Ma germanité est pour moi quelque chose de sacré). Le jeune Franz, agnostique, abreuvé de nihilisme nietzchéen et de Feuerbach mâtiné de Wagner, est sur le point de sombrer dans le désespoir qui mène au suicide. Son cousin, Eugen Rosenstock, converti au christianisme, l'en dissuade : « La mort ne mène à rien. Seule la Foi te sauvera, la Foi en Christ sera ta Résurrection. Tu dois te convertir ! »
 
Alors qu'il vient d'achever une thèse sur Hegel, le jeune Rosenzweig, convaincu par les arguments de son cousin, décide d'embrasser le christianisme.
 
Mais quoique complètement coupé de sa communauté d'origine, il est pris d'un doute, assailli par un scrupule intellectuel. « Puis-je quitter le judaïsme sans y avoir goûté une seule fois ? » se demande-t-il. Avant de se rendre à l'église pour y recevoir le baptême, il décide de passer par la synagogue. Pour voir, pour être sûr de ne rien regretter.
 
C'est, par extraordinaire, le jour de Yom Kippour. La solennité de l'office, la ferveur mais aussi la joie qu'il lit dans les regards des hommes en prière l'émeuvent. Les chants, les rites dont il ignorait tout, le bouleversent. Ce jour de jeûne et de contrition devient miraculeusement celui de son retour à Dieu, à son peuple et à lui-même. C'est la « téchouva ». Rosenzweig est véritablement électrisé. Le choc est inouï. C'est un autre homme qui, au soir de ce Kippour 1913, quitte la synagogue. Il écrit à l'un de ses cousins qui devait être son parrain de baptême : « Je vais te décevoir : je reste juif. Peut-être le christianisme, la Demeure du Fils, doit-il permettre à chaque homme d'entrer dans la Demeure du Père et son caractère missionnaire est-il justifié-sauf pour le Juif car le Juif n'a nul besoin du Fils pour trouver le Père : de par sa naissance même, son histoire, son existence, il est à demeure dans la Demeure du Père ».
 
À partir de ce jour, Franz Rosenzweig va vivre de plus en plus intensément son judaïsme. Il rattrape le temps perdu, découvre la Thora et le Talmud, le Zohar et la langue hébraïque.
 
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il est mobilisé et c'est au front qu'il rédige, par petits bouts, sur des cartes postales envoyées à sa famille, ce qui sera son œuvre maîtresse, « L'Étoile de la Rédemption ».
 
Après la Guerre, il prendra la direction de l'École Libre des Hautes Études Juives de Francfort-sur-le-Main.
 
En 1922, atteint d'une sclérose latérale amyotrophique, une paralysie impitoyable qui le prive progressivement de l'usage de ses mains, de ses bras, de ses jambes, de tous les muscles de son corps et de la parole, Rosenzweig livre un combat extraordinaire contre la déchéance et la mort. Son cerveau demeure cependant intact et il parvient, par d'imperceptibles clignements d'yeux et avec l'aide de sa femme, à écrire les livres qui feront sa célébrité.
 
Franz Rosenzweig s'est éteint à Francfort le 10 décembre 1929.
 
C'est une excellente idée qu'a eue Salomon Malka de réunir trente spécialistes internationaux pour rédiger un « Dictionnaire Rosenzweig ». D'Allemagne à Traduire en passant par Antisémitisme, Hébreu, Islam, Prière ou Tikoun, ce sont des dizaines d'entrées rédigées à l'aune du rapport avec Rosenzweig, qui seront précieuses à tous ceux que le philosophe de « L 'Étoile de la Rédemption » interpelle.
 
Dans son avant-propos, Salomon Malka, qui revient sur le parcours de Rosenzweig en évoquant un congrès international qui s'est tenu à Cassel, à Toronto et à Paris et où quarante pays étaient représentés, nous emmène sur sa tombe au nouveau cimetière juif de Francfort. « La pierre est rosâtre, recouverte de poussière ». « La tombe porte l'inscription hébraïque : 'Notre maître, le rabbin Lévy Ben-Schmouel Rosenzweig' ». On apprend également qu'on ne sait par quel mystère, la bibliothèque personnelle du philosophe s'est retrouvée à Tunis, à la Bibliothèque nationale, qui l'a dispersée.
 
Pour sa part, Alexis Lacroix, dans sa postface, dédiée à la mémoire d'Élie Wiesel, compare Rosenzweig à Péguy, dans l'esprit d'une « gémellité théologique » en y associant Gershom Scholem.
 
Un travail remarquable.
 
Note : 
(*) Sous la direction de Salomon Malka. Posface d'Alexis Lacroix. Éditions du Cerf. Septembre 2016. 432 pages. 30 euros.