C’est à Varsovie, capitale de la Pologne, dans laquelle 41% de la population était juive, qu’est né, le 11 janvier 1907, Abraham Heschel, fils de Moshé et de Rifka Reizel Perlow. Descendant de six générations de rabbins parmi lesquels, du côté de son père, le fameux Dov Baer de Mézéritch et, du côté de sa mère, le non moins célèbre, Lévi Yitzhak de Berditchev, c’est tout naturellement que, dès l’âge de trois ans, le jeune Abraham, surnommé Avroumelè, fut immergé dans la lecture et le commentaire de la Thora. Initié au Talmud à partir de huit ans et au Zohar, à partir de dix, il était a priori destiné à devenir un « prince hassidique ». La disparition prématurée de son père alors qu’il n’a que dix ans bouleverse quelque peu une vie qui semblait toute tracée. Placé sous la tutelle de son oncle maternel, il va poursuivre néanmoins sa formation rabbinique. À seize seulement, cas exceptionnel, il est ordonné rabbin. Mais, passionné par les matières profanes, notamment les langues étrangères, il décide de quitter sa famille pour suivre des études dans une école scientifique mixte, à Vilna, la « Jérusalem de Lituanie ». C’est là qu’il va faire son éducation politique et historique qui forgera le caractère de ce rabbin « émancipé » pour le moins inhabituel à l’époque.
En 1927, le voilà à Berlin. Il a vingt ans et il entre à l’Université Friedrich-Wilhelm pour étudier la philosophie et la théologie avec pour sous-spécialités les langues sémitiques et l’histoire de l’art. Il soutiendra plus tard une thèse sur le thème : « La conscience prophétique « et parallèlement, il préparera et obtiendra un diplôme de la Hochshule für die Wissenshaft des Judentums.
Tandis que le nazisme se fait menaçant, Heschel commence à publier ses premiers ouvrages ainsi que des articles, notamment biographiques. En 1935, il fait la connaissance de Martin Buber qui s’apprête à aller vivre en terre d’Israël et qui le choisit comme successeur à la tête du Lehrhaus de Francfort-sur-le-Main , établissement fondé en 1920 par Franz Rosenzweig.
28 octobre 1938. Heschel fait partie des dix mille Juifs titulaires d’un passeport polonais que le régime nazi expulse. Il se retrouve à Varsovie, puis à Londres et enfin aux États-Unis. C’est là qu’il va entrer dans le réseau du judaïsme réformé, à Cincinnati comme à New York.
« Heschel fut un des premiers penseurs juifs à essayer de tirer les leçons de la Shoah », nous dit E.K. Kaplan. C’est pourquoi, « face à la Shoah et à la décadence spirituelle de l’Amérique du Nord, il fallait une religion reposant sur la sainteté de l’homme- de tous les êtres humains, pas seulement des Juifs- et la présence d’un Dieu engagé, compatissant, vivant et réel, un Dieu « en quête de l’homme » ». De 1950 à 1955, Heschel connaît une révolution théologique. Engagé, dans les années soixante, dans les grands combats, Abraham Heschel devient le personnage prophétique préféré des médias. « Célébré ( ou critiqué ) comme étant le seul Juif traditionaliste à prendre des positions radicales sur des controverses d’actualité, il était reconnaissable à sa barbe blanche, ses cheveux en bataille et son béret ». Aux côtés de Martin Luther King, il va prendre une position en flèche dans la lutte des Noirs américains pour les droits civiques. Le combat pour la liberté des Juifs d’URSS sera un autre de ses thèmes de prédilection. Tout comme l’action pour une meilleure compréhension des Juifs par les Chrétiens, le rapprochement judéo-musulman et l’opposition farouche à la Guerre du Vietnam. Sioniste convaincu, il avait une grande passion pour l’État juif qu’il visita en 1957 pour la première fois. En 1969, il publie « Israël : un écho de l’éternité », « un chant d’amour, le plus lyrique que Heschel ait jamais écrit, où il s’efforce de justifier aussi les droits historiques et spirituels du peuple de la Bible à posséder la terre d’Israël ».
Abraham Heschel est mort le 22 décembre 1972 à New York. Un grand penseur. Un très beau livre.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Albin Michel. Novembre 2008. 208 pages. 8,50 euros
(1) La figure d’Abraham Heschel, associée à celle de Martin Luther King a notamment été évoquée lors d’un colloque : « La lutte pour la défense des Droits Civiques aux USA » organisé par l’Amitié Judéo-Noire en partenariat avec le CRIF, le CRAN, le B’naï B’rith France et le Capdiv à la Mairie de Paris, le 4 février dernier.