A l’heure où le judaïsme libéral en France célèbre son centenaire et ou le MJLF (Mouvement Juif Libéral de France) atteint son trentième anniversaire, il n’est pas inintéressant de rappeler que si, en France, les Juifs libéraux sont très minoritaires, ils représentent la grande majorité, 1200 communautés dont 90% aux Etats-Unis, du judaïsme mondial.
Le travail remarquable réalisé par les auteurs de ce recueil concerne exclusivement la mouvance libérale représentée en France par le MJLF et, au niveau international par l’Union Mondiale du Judaïsme Libéral (World Union for Progressive Judaism).
Comme le résume parfaitement Pierre Haïat dans son introduction, le judaïsme libéral, tout en respectant l’héritage des anciens, considère que la Loi juive peut et doit s’adapter aux circonstances de chaque époque et à l’évolution de la société, comme cela a été le cas tout au long de l’histoire juive.
C’est en 1977 que le rabbin Daniel Farhi a créé, avec Roger Benarrosh et Colette Kessler, le MJLF qui, aujourd’hui possède trois centres communautaires, deux à Paris et un à Sceaux, en région parisienne et dispose de douze autres synagogues dans le pays, cinq en région parisienne et sept en province.
Sous la plume de rabbins, de théologiens, de penseurs, d’enseignants et de dirigeants communautaires, douze thèmes essentiels sont abordés, décortiqués, commentés et la position du judaïsme libéral, explicitée et justifiée.
Si des variations légères peuvent apparaître dans les positions des uns ou des autres, un socle de base a été institué, une plate-forme, dite de Pittsburgh, adoptée en 1999. Elle affirme la réalité et l’unicité de Dieu, « même si nos appréciations de la Présence divine peut varier ». Elle considère que « la Tora est le fondement de la vie juive ». Elle admet le pluralisme religieux et culturel comme « une expression de la vitalité de la vie commune juive en Israël et dans la diaspora » et, surtout, précise : « Nous sommes une communauté ouverte qui accueille les personnes de tous âges, tous les types de familles, sans considération de leur orientation sexuelle, celles qui se sont converties au judaïsme (guerim), autant que les personnes seules et les familles, y compris les couples mixtes qui veulent créer un foyer juif ». Enfin, le judaïsme libéral, dans ce texte fondateur, se considère comme engagé envers l’Etat d’Israël et se réjouit de ses réalisations.
Pour le Grand rabbin Louis Germain Lévy, « ce qui distingue essentiellement le libéralisme de l’orthodoxie, c’est la nature de l’autorité. Pour l’orthodoxie, celle-ci réside dans une révélation miraculeuse ; pour le libéralisme, elle est dans le titre rationnel et moral, dans la valeur interne et progressive de l’esprit » (1935).
Quant au rabbin Daniel Farhi, il prévient d’avance toute critique en affirmant que « le judaïsme libéral, c’est d’abord le judaïsme » (1974).
Notant que « l’histoire de la Halakha pharisienne et rabbinique montre une flexibilité plus grande qu’on ne pourrait s’y attendre », le rabbin John Rayner (1987) ouvre la voie aux aménagements, souvent très substantiels que le judaïsme libéral propose au quotidien.
A ceux, par exemple, qui rêvent d’une reconstruction du Temple de Jérusalem en vue d’une restauration du culte sacrificiel, John Rayner n’hésite pas à affirmer que « le concept même du culte sacrificiel est fondé sur une erreur fondamentale sur ce que Dieu exige de nous et que sa restauration serait un catastrophique retour en arrière vers le primitivisme ».
Parmi les sujets abordés, la transmission de l’identité juive, aujourd’hui matrilinéaire. Question douloureuse et centrale. « A la suite d’un raisonnement tiré par les cheveux, nous explique Richard Haddad (1989), le rabbinat conclut que le fils d’un Juif et d’une non-Juive n’est pas juif ». Il faut, dit l’auteur, rétablir impérativement la double filiation. « Nous n’avons pas la prétention de retirer à l’enfant d’une Juive sa qualité de Juif ; mais nous soutenons que l’identification se fait aussi par le père.
Autre sujet « brûlant » : les mamzerim. Le mamzer est un enfant issu d’une union illicite, c’est-à-dire interdite par la Tora : inion incestueuse, consanguine ou adultérine. Exclu de la communauté juive, le mamzer ne peut épouser qu’une mamzer. Daniel Farhi s’insurge : « Les enfants ne doivent pas porter la faute des parents » et précise : « Même si nous avons connaissance du fait qu’une personne est issue d’une union adultérine ou d’un mariage interdit par la Tora, nous acceptons, si elle est juive, de la marier à un conjoint juif » ( 1997).
Question délicate : la pratique de l’incinération. Le souvenir d’Auschwitz est dans toutes les mémoires et l’idée qu’on puisse brûler le corps d’un Juif est, à priori rebutante. « Je suis très réticent à l’incinération », reconnaît le rabbin Daniel Farhi (1997). Toutefois, à l’instar du rabbin François Garaï, il recommande une certaine souplesse : « si une personne désire être incinérée, nul ne peut le lui interdire » (2001)
Question plus spirituelle que d’ordre pratique : la venue du Messie. Le rabbin Israël Mattuck nous éclaire : « Le judaïsme libéral ne croit pas en la venue d’un tel être, qui, selon lui, ne répond pas à un besoin…Le judaïsme libéral croit en une ère messianique… » (1947).
Doit-on prier exclusivement en hébreu ? Non, on peut également utiliser la langue du pays. Les offices peuvent-ils être raccourcis. Oui, pour permettre une meilleure attention. Peut-on utiliser l’orgue ? Comme autrefois. L’orgue peut remplacer le psaltérion et la harpe.
Et la femme, dans tout cela ? Peut-elle côtoyer l’homme à l’office ? Peut-elle prier ? Peut-elle être rabbin(e) ? Réponse sans ambiguïté : « Il n’y a aucune raison valable d’empêcher la femme de participer aux activités religieuses au même titre que l’homme, ou de séparer dans la synagogue l’homme de la femme, les parents des enfants, le frère de la sœur, en les privant de la joie de l’unité familiale qui fait partie d’une authentique célébration religieuse »
(Rabbin Charles Berg. 1989).
Femme et rabbin, enfin. Florence Cohen (2004) nous rappelle que Regina Jonas (1902-1944) a été la première femme rabbin de l’histoire du judaïsme. Cela se passait à Berlin. La première femme rabbin américaine, Sally Priesand, a été ordonnée en 1972. En France, c’est avec Pauline Bebe, installée an 1990 qu’une première femme rabbin a été installée. Depuis, elle a été rejointe, il y a quelques mois par Celia Surger. Il y a, à travers le monde, 800 femmes rabbins dont 500 appartiennent au mouvement libéral.
Quant à l’homosexualité, sujet discrètement évoqué dans la plate-forme de Pittsburgh, le rabbin Dow Marmur précise que si « notre mouvement n’encourage pas l’homosexualité » (1990), il convient, y compris pour ce qui concerne les rabbins homosexuels, de manifester la plus grande tolérance et le plus grand respect.
La conversion, la circoncision, la maladie, le suicide, l’euthanasie, les expérimentations médicales, l’adoption, le prosélytisme, le souvenir de la Shoah et bien d’autres sujets sont également traités dans ce livre remarquable.
Compte-tenu de la variété des contributions, l’ouvrage n’échappe pas au défaut des recueils du genre, les redites inévitables. Mais cela n’entame en rien l’intérêt évident de cette compilation
Jean-Pierre Allali
(*) Avec la collaboration de Martine Bresson-Rosenmann. Préface de Francis Lentschner. Postface de Roger Benarrosh