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Publié le 25 Mai 2010

Cannes, en «odeur de sainteté», par Sandrine Bendavid

Il est dit de l’art qu’il transpire le monde dans lequel il est créé, qu’il est le symptôme du lieu et du temps de son existence. Et si le cinéma applique bien la règle, alors le palmarès de la dernière édition du festival de Cannes, qui s’est achevée dimanche 23 mai 2010, démontre un monde en plein retournement et qui, au pied du mur de la violence qui l’embrase de toutes parts, revient à la spiritualité et à la foi.

La foi, tout d’abord, avec le magnifique « Des hommes et des Dieux », Prix du Jury 2010 présidé par Tim Burton, un film de Xavier Beauvois qui s'est inspiré de l'assassinat des moines de Tibéhirine en 1996 en Algérie, pour placer le spectateur face au dilemme moral d'hommes de foi emportés par la violence. Le film porte à l'écran le destin tragique de ces sept moines enlevés fin mars 1996 dans leur monastère isolé situé près de Medea, à 90 km au sud d'Alger, une région où les tueries étaient alors fréquentes. Sans entrer dans la responsabilité de ces assassinats, le film fait partager au spectateur la vie de ces hommes et le place au coeur de leur choix éthique. En guise de prologue apparaît un texte de la Bible, le psaume 81 : "Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous ! Pourtant, vous mourrez comme des hommes, comme les princes, tous, vous tomberez". « Des hommes et des Dieux » sortira en France le 8 septembre 2010.

La spiritualité, ensuite, avec la Palme d’Or inattendue du festival, attribuée cette année à « Oncle Boonmee », du réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. Boonmee est un homme atteint d'insuffisance rénale qui se retire à la campagne pour y passer ses derniers jours. Entouré de sa belle-sœur, de son fils et d'un immigré laotien qui s'occupe de lui, il expérimente le retour amical de fantômes familiers : sa femme, incrustation pâle qui vient se greffer dans la profondeur de la nuit, son fils, devenu grand singe noir et velu aux yeux rouges phosphorescents. En leur compagnie, oncle Boonmee décide de délaisser ses travaux d'apiculteur pour faire à travers la jungle l'ultime voyage jusqu'au lieu de sa naissance. En chemin, ses vies antérieures vont reprendre forme… "C'est un moment très important pour l'histoire de la Thaïlande et du cinéma thaïlandais ", a déclaré le cinéaste en recevant sa Palme d'or lors de la cérémonie de clôture du Festival. "Je voudrais aussi envoyer un message à mes compatriotes qui suivent la cérémonie, (...) les esprits et les fantômes en Thaïlande qui nous ont entourés, nous ont permis d'être ici", a-t-il ajouté. La date de sortie en Franced’« Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures » est encore indéterminée.

La réincarnation est aussi le sujet du film hors-compétition qui a clôturé le festival, « The tree » (l’arbre), superbe réalisation de la franco-australienne Julie Bertuccelli, ou Charlotte Gainsbourg joue le rôle d’une jeune veuve que ses enfants persuadent de la pérennité de l’existence de leur défunt père dans le corps d’un grand arbre près de leur maison…

Xavier Barden, lauréat ex-æquo de la palme de la meilleure interprétation masculine, doit son prix à sa performance dans « Biutiful », le dernier film d’Alejandro Gonzalez Inarritu, ou il joue le rôle d’Uxbal, un homme solitaire et mourant qui trouve lui aussi refuge dans la spiritualité grâce à une guérisseuse et qui expérimente lui-même cette spiritualité dans l’accompagnement des âmes, juste après la mort. Sortie le 25 aout 2010.

C’est enfin dans la poésie que l’héroïne du film « Poetry »du Coréen Lee Chang-dong (sortie 31 décembre 2010) , palme du meilleur scénario, trouve refuge pour échapper à la violence du monde réel. L'actrice principale, la Coréenne Yun Jung-hee, avait été pressentie par les critiques pour le prix d'interprétation féminine, finalement attribué à Juliette Binoche, qui a brandi la plaque du siège vide de Jafar Panahi, le réalisateur iranien qui devait être membre du jury, actuellement en grève de la faim dans la geôle d’Evine. « Le monde a besoin de nous », a conclu l’actrice, partageant sa solidarité avec l’artiste emprisonné.

Oui, le monde a besoin du cinéma, pour le libérer et le rendre à sa vraie nature, ni héros, ni surhomme, proche de Dieu parce que proche de l’ensemble des hommes, refusant la violence et en quête de paix. Enfin une mission digne du septième art.

Photo : D.R.