De Rabbi Akiba aux Polonais d’aujourd’hui, de la révolte du Ghetto de Varsovie à la tragédie de la Shoah, à la rencontre de Paul Ricoeur, de Georges Steiner ou de Martin Heidegger, la philosophie du maître de Kovno s’articule toujours autour de l’Autre, du temps de l’Autre, du Visage de l’Autre. Car « le rapport à la loi est le rapport à l’autre homme ». C’est pourquoi « On est trois quand on est deux ». L’homme, en quelque sorte, est l’otage de son prochain. Ou encore : « Levinas ne regarde pas simplement la personne telle qu’en elle-même, car il sait que le visage humain porte en lui la trace et le reflet de l’humanité, de l’infini. » Telle est « l’épiphanie du visage ».
C’est à travers La Nausée que Levinas découvrit Sartre auquel il voua, dès lors, une grande admiration. Michaël de Saint–Cheron nous rappelle opportunément cette anecdote. En 1964, Levinas, félicitant le philosophe existentialiste pour avoir refusé le prix Nobel, ajoute dans sa missive qu’il est le seul homme capable d’influer sur la paix au Proche-Orient : « Allez chez Nasser, proposez-lui la paix avec Israël. Vous êtes le seul homme que l’on écoutera ». Étonnant ! La réaction de Sartre ne le fut pas moins : « Mais qui est donc ce Levinas ? ». Une méconnaissance qui ne durera pas, loin de là, ce qui amène l’auteur à se poser la question : « Le dernier Sartre (celui de la proximité avec Benny Lévy) serait-il devenu lévinassien ? ».
L’analyse de la liturgie du Yom Kippour, celle-là même qui amena Franz Rosenzweig, au moment où il s’apprêtait à se convertir à la chrétienté, à retrouver l’étoile de sa rédemption, est finement traitée. « Que le pardon dans le judaïsme soit fixé une fois pour toutes par un calendrier, affirme de Saint-Cheron, lui donne une force unique…et « élève la femme et l’homme juifs jusqu’à des hauteurs que l’on ne peut atteindre par soi-même, à moins d’être porté sur les ailes de la Shekhina, la Présence de Dieu, qui accompagne Israël dans son exil ». Pour aller vers le pardon de Kippour, la techouva (repentance), la tefilah (prière) et la tsedakah (charité), dans une union salutaire et obligée, sont nécessaires. Le tout dans un esprit de kavanah, intention spirituelle sincère et profonde du repenti.
Une autre dimension de la question du pardon est celle, qui peut sembler blasphématoire, voire scandaleuse, mais qui s’avère spécifiquement juive, celle qui conduit l’homme à demander des comptes à Dieu.
Une lecture, certes parfois difficile mais combien enrichissante.
Par ailleurs, à l’heure où l’on célèbre le centenaire de la naissance d’Emmanuel Levinas, signalons, pour accompagner ces entretiens particulièrement intéressants, la sortie en poche du dernier ouvrage de philosophie publié du vivant du maître, Altérité et Transcendance (1)
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Le Livre de Poche. Biblio Essais. Mai 2006. 192 pages. 5,50€
(°) Éditions Le Livre de Poche. Biblio Essais. Mai 2006. 194 pages. 5,50€