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Publié le 3 Mai 2010

Exil sous le croissant et l’étoile - rapport d’Herbert Scurla sur l’activité des universitaires allemands en Turquie pendant le IIIe Reich, par Dirk Halm et Faruk Şen (*)

Bien que moins connues que d’autres entreprises exemplaires de sauvetage de Juifs aux heures sombres de la Shoah, la contribution des Turcs à l’action de ceux qu’on appelle les Justes se doit d’être soulignée. Le film de Marek Halter, Tzedek, Les Justes, évoque d’ailleurs ce sujet que l’écrivain a repris dans un livre, La force du bien (1). Ici même, dans une précédente chronique, nous avons évoqué l’ouvrage d’Ayşe Kulin, Dernier train pour Istanbul qui narre, de manière romancée, l’action de diplomates turcs à Paris et à Marseille, qui, à la barbe des nazis, ont réussi à sauver des centaines de Juifs turcs en danger de mort (2).




C’est un tout autre aspect, véritablement méconnu que nous révèlent Dirk Halm et Faruk Şen dont l’ouvrage, fort opportunément, est traduit en français : l’accueil, dès 1933, par la Turquie, d’artistes et d’universitaires allemands et autrichiens, pour la plupart juifs et demi-juifs, révoqués par les nazis pour des motifs essentiellement raciaux.



C’est grâce à la découverte par l’historien Klaus-Detlev Grothusen du rapport très circonstancié, établi en 1939, d’un fonctionnaire allemand, Herbert Scurla, haut conseiller au ministère de l’Éducation du Reich, technocrate conformiste, chargé par ses supérieurs d’espionner en quelque sorte, à Istanbul et à Ankara, les émigrés chassés de leur pays, que toute la lumière a pu être faite sur la trajectoire de chacun des universitaires.



On trouvera dans ce livre, en annexe, un commentaire de Fritz Neumark, économiste décédé en 1992, lui-même exilé à Istanbul et témoin de l’époque, qui corrige les nombreuses erreurs ou approximations de Scurla dans son mémoire et qui montre bien la volonté manifeste des Allemands de poursuivre et de harceler leurs victimes jusque que dans leur exil en essayant, sans succès, de les déconsidérer auprès du pouvoir turc.



Pour faire suite au rapport Scurla proprement dit, la partie centrale de l’ouvrage, rédigée par Christiane Hoss avec le concours de Horst Widmann, est constitué de mini-biographies de ces savants, pour la plupart aujourd’hui disparus. De Heinz Anstock (1909-1980) à Hans Winterstein (1879-1963). On réalise, à lire ces tranches de vie, de quelle somme monumentale de science et de savoir l’Allemagne hitlérienne s’est indignement séparée. Linguistes, philosophes, sociologues, psychologues, agronomes, archéologues, géologues, numismates, bactériologues, botanistes, chimistes, médecins, pharmacologues, physiciens, mathématiciens, économistes, ingénieurs, astronomes, historiens, ou encore juristes, architectes ou sculpteurs, tous vont participer avec conviction, malgré les difficultés de langue ou d’adaptation à une civilisation orientale à laquelle ils étaient au demeurant étrangers, à la construction d’une Turquie moderne telle que l’avait imaginée Atatürk.



De nombreux portraits permettent de se faire une idée de l’aspect physique de tous ces savants.



L’ouvrage, parallèlement, jette un regard pertinent sur les racines des relations germano-turques.



Enfin, un cahier de photographies miraculeusement retrouvées dans l’album du professeur Otto Gerngross permet de se faire une idée de se qu’était, à l’époque, l’Ecole Supérieure d’Agronomie d’Ankara.



Très intéressant.



Jean-Pierre Allali



(*) Éditions Turquoise. Traduit de l’allemand par Claudine Layre. Préface de Frank-Walter Steinmeier, ministre allemand des Affaires étrangères. 4ème trimestre 2009. 288 pages. 22 euros
(1) Éditions Robert Laffont. 1995.
(é) Editions Ramsay. 2009. Voir notre recension dans la Newsletter du 14-05-2009. Par ailleurs, l’ouvrage en anglais de Bayram Nazir, Ottoman hospitality and its impact on Europe. Publication de la Chambre de Commerce d’Istanbul. 2008, retrace, lui, l’accueil des Juifs par la Turquie dans d’autres circonstances depuis 1492. Voir notre recension du 10-12-2009.
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