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Publié le 24 Mai 2005

Je veux revoir maman Par Alain Vincenot (*)

À la recherche des derniers témoins de cette « grande faille que constitue la Shoah dans l’histoire de l’Humanité » selon les termes de Simone Veil qui préface son dernier ouvrage, le journaliste Alain Vincenot est allé à la rencontre de ces hommes et de ces femmes qui étaient de jeunes enfants aux heures sombres de l’occupation de la France par les nazis et de la tragédie infinie de la déportation.



Pour raconter ces vies parallèles, ces vies cachées, ces vies meurtries et, tout compte fait, ces vies miraculeusement sauvées, rien ne vaut le témoignage direct.

Souvent planqués par les soins de l’O.S.E., Oeuvre de Secours aux Enfants, par des Éclaireurs Israélites ou de l’O.R.T. (Organisation-Reconstruction-Travail) ou encore placés dans des familles chrétiennes, loin des villes, des enfants juifs ont survécu à la catastrophe. Ils avaient entre 2 et 14 ans en 1940 et si leurs souvenirs sont parfois incertains, leurs parcours se ressemblent : le déchirement de la séparation avec les parents, le besoin obsessionnel de « revoir sa maman », l’obligation de changer de nom et de simuler une autre religion que la leur, la rencontre de petits citadins avec le monde campagnard, la violence aussi, hélas, parfois.

Pour certains, tels Sarah Tieder-Kaminsky , leur drame est aussi une rupture avec la religion : « Mes yeux se sont dessillés sur le monde, un monde cruel et sans Dieu ». Bien qu’elle ait donné à ses enfants qui ont été circoncis, des prénoms hébraïques, Yehouda et Baruch, elle ne les a pas élevés dans la tradition et ils ont épousé des non-juives. Seul l’un de ses petits-fils, Raphaël a fini par rejoindre la religion de ses ancêtres. Même attitude chez Gilberte Czyzyk-Eugénie : « Une rupture définitive s’est produite avec mes racines juives. Irréversible, définitive. Je ne pratique pas, je ne respecte aucune fête. Mes filles non plus. Et elles n’ont donné aucune religion à mon petit-fils et à mes deux petites-filles ». Robert Carles garde, lui, le souvenir de son père qui lui crie ces derniers mots : « Robert ! N’oublie jamais que tu es juif ! ». Simone Miliband-Fenal, qui se retrouve dans une ferme où on la fait passer pour une petite réfugiée parisienne en mauvaise santé qui vient se requinquer en province raconte : « J’ai découvert la vie à la campagne. Je gardais les vaches, assistais aux moissons, aux battages, on tuait le cochon. Je mangeais normalement. J’allais à l’école du village, où j’étais une bonne élève, à la messe, au catéchisme. Le curé de Cormenier m’a baptisée et m’a donné deux nouveaux prénoms, Marie et Denise ». Sami Dassa, lui aussi, allait au catéchisme et suivait la messe. Il a même fait sa communion et sa confirmation. Sa sœur, Lucienne, sans cesse humiliée par la famille d’accueil, manque de se suicider. Son autre sœur, Renée est victime de violences sexuelles.

Ce qui demeure ancré dans la mémoire de Liliane Goldberg-Lancry, c’est la recommandation ferme de la famille qui l’héberge : « N’oublie pas ! Demain, à l’école, tu seras Lili Page, non Lili Goldberg ! »

Dix-neuf témoins se succèdent au long de ces pages bouleversantes. Jean-Michel Rosenfeld, qui sera l’un des collaborateurs les plus proches de Pierre Mauroy, avait 6 ans en 1940, réussit, malgré le port de l’étoile jaune, à passer, avec sa mère, entre les gouttes : « Nous ne nous sommes pas cachés. Nous nous sommes faits tout petits ».

« Je ne suis pas croyant dit Salomon Galdbart, pas du tout. Pour faire plaisir à ma femme, je pratique un peu, je respecte les grandes fêtes. Mais être juif pose tellement de problèmes. On le paie très cher. Je comprends que certains se convertissent. Moi, je revendique ma judaïté, tout en aimant la vie » Et il conclut, optimiste, comme la plupart de ces anciens enfants cachés : « Ce qui m’étonne le plus, c’est que, depuis des millénaires, malgré les pogroms, les massacres, les persécutions, on est restés juifs de génération en génération ».

Très beau témoignage richement illustré.

Jean-Pierre Allali

(*) 286 pages. 20€. Éditions des Syrtes. Janvier 2005