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Publié le 30 Janvier 2009

LE POINT INTÉRIEUR, méditations sur les lectures hebdomadaires de la Torah, par David Saada (*)

Nous avons déjà eu l’occasion de dire, ici même, à l’occasion de la sortie de l’ouvrage du même auteur, « Le pouvoir de bénir. Méditations sur les lectures hebdomadaires de la Torah » (1), combien il est important et salutaire que soit mis à la disposition du public juif, particulièrement de ceux qui, pour une raison ou une autre, ne pratiquent pas régulièrement la synagogue, des commentaires des parachiot, les péricopes, sections hebdomadaires du texte biblique qui ponctuent la vie juive, d’un bout à l’autre de l’année.


Ce type de commentaires nous est d’ailleurs régulièrement proposé par les éditeurs avec, selon les auteurs, plus ou moins de bonheur (2).
On pouvait néanmoins être inquiet de voir publier un deuxième volume du même auteur avec le même objectif signalé en sous-titre, un aspect et une couverture étrangement ressemblants. Allait-on avoir droit à une resucée ? Il n’en n’est rien et ce nouveau jet est aussi captivant, sinon plus que le premier.
Le principe est le même : de la paracha « Béréchit » à l’ultime « Vé Zot Ha Berakha », les textes sont décryptés, décortiqués, analysés d’une manière si éclairante que le lecteur a le sentiment continu d’une redécouverte enrichissante. Comme le disent certains, c’est un fait qu’il y a une lecture infinie de la Bible, ce qui, d’une certaine manière, est rassurant.
David Saada prend à témoin tous les grands maîtres de la tradition juive, de toutes les époques et de toutes les contrées. Avec des incursions constantes dans la Guématria et en invoquant souvent les Séphirot kabbalistiques ( « Le peuple juif est donc porteur de l’union entre « Tiferet » et « Malkhout ». Le « lieu spirituel » où s’effectue cette jonction inter-sefirotique est le point intérieur ») , avec une maîtrise remarquable de la langue hébraïque, il nous régale, tout simplement.
Son fil conducteur : le point intérieur, spécificité du peuple d’Israël : « C’est ce Sanctuaire de l’âme-le point intérieur indestructible, résistant à toute souillure-qui est la cause première de la délivrance. Le point intérieur est en quelque sorte le code génético-spirituel d’Israël, l’héritage éternel des Patriarches, « de génération en génération ». Si la délivrance est possible, c’est parce que le point intérieur subsiste, intact, vivant, théocentré ».
Tout au long de ce beau commentaire, l’amour d’Israël et du peuple juif transparaît : « Ainsi, les deux événements fondateurs du peuple d’Israël, la sortie d’Égypte et le don de la Torah au Sinaï, ont pour but d’inscrire de manière indélébile dans la psyché du peuple les deux modalités de leur relation à Dieu : la crainte et l’amour ». Ou encore : « La manifestation permanente de la liaison dynamique qui s’établit entre la crainte et l’amour se retrouve dans ce qui constitue les deux pôles de l’activité spirituelle du Juif au quotidien, à savoir la prière et l’étude ». Et, plus loin : « Car le chabbat, c’est le point intérieur au plan du temps ». Des éclairages passionnants nous conduisent à reconsidérer sous un angle neuf des questions aussi délicates que la dialectique hébraïque du maître et de l’esclave, le talion, le mélange carné-lacté, le rapport spirituel existant entre le Grand-prêtre et sa tenue sacerdotale, le « erev rav », la « foule mêlée », les trois dimensions de l’identité juive : « nechama », « rouach » et « nefech », le rapport entre les « tsitsit » et la faute des explorateurs , la vache rousse…
Des développements particulièrement profonds sont consacrés à l’antisémitisme, qui depuis Balam, le « théoricien » et Amalek, le « praticien », n’a pas beaucoup changé dans le monde : « La haine d’Israël parmi les nations apparaît dès la naissance d’Israël et cette haine est essentiellement d’ordre spirituel quand bien même elle se dissimulerait derrière un discours d’ordre économique ou politique ». Des propos d’une actualité évidente qui sont vérifiés au quotidien avec la déferlante antisémite que connaît notre pays, la France, à l’instar du monde entier depuis l’opération « Plomb durci » à Gaza. Pour David Saada, « Le rejet d’Israël est d’abord un rejet de Dieu. C’est là l’essence de l’antisémitisme : détruire Israël pour se débarrasser du Projet divin, de la responsabilité qu’il implique, de l’exigence qu’il impose à l’Homme. Ce que voient les haïsseurs d’Israël dans l’objet de leur exécration, c’est le point intérieur, porteur du désir de Dieu de voir sa Création réussir ». Difficile de mieux le dire. L’auteur va plus loin dans l’incursion géopolitique moderne en commentant la paracha « Balak » : « Aujourd’hui, on n’est plus antisémite, on est antisioniste. L’État d’Israël est considéré comme la cause de tous les maux du monde. Et si les Juifs ne meurent plus pour leur attachement à la Torah ou tout simplement parce qu’ils sont nés juifs, ils sont tués parce qu’ils sont revenus sur la terre de leurs ancêtres ».
À l’occasion, de véritables perles nous sont offertes. Ainsi, cette explication du mot « Anokhi », le « Je » divin proposée par Rabbi Yohanan Dedaya ( Talmud Chabbat 105a) : « Anokhi est l’acronyme (notarikon) de Ani Nafchi Ketavit Yehavit », « Moi, mon âme, j’ai apporté l’Écriture de la Torah ». Dans un autre domaine : « Il est tout à fait significatif que les mots « Adam », « Chabbat » et « Emet » présentent une équivalence guématrique selon la méthode du mispar katan…. Cette équivalence signifie : « La vérité de l’Homme est chabbatique » »
À ce stade de notre analyse, permettons-nous une incise « humoristique » en rapport avec l’actualité tragique de ces dernières semaines au Proche-Orient. Le conflit pour sa survie que l’État d’Israël et sa valeureuse armée, Tsahal, ont livré contre les terroristes du Hamas nous ont rendu cet acronyme pour le moins odieux. Or, mystère insondable de la langue, voici que David Saada, dans sa réflexion autour de la paracha Noah, nous parle du hamas ! Anachronisme ou propos déplacés ? Pas du tout. On découvre avec étonnement que hamas , c’est la violence ! « La terre se corrompait devant Dieu, la terre se remplissait de violence « hamas » ». (Genèse 6,11). Et David Saada de commenter : « Qu’est-ce que le « hamas » par rapport au vol ? Rabbi Hanina dit : « Le hamas, c’est voler ce qui ne vaut pas une « perouta » et le vol, c’est voler ce qui vaut au moins une « perouta » ». La réalité dépasse parfois la fiction !
« Les Fils d’Israël ont reçu la Thora parce qu’ils étaient dotés du réceptacle adéquat, le point intérieur. Ce réceptacle est irréductible à toute souillure et reste toujours apte à accueillir la Parole de Dieu…Tout Israël a une part au monde qui vient ».
« Être esclave de Dieu mène à la liberté absolue, qui est l’essence même de la sainteté ».
« Au terme de l’Histoire, quand la folle ambition de Babel se sera définitivement effondrée face à la résilience d’Israël, l’unité de l’humanité enfin réconciliée avec l’Ancien monde, s’épanouira dans la lumière de Jérusalem ». Un seul mot s’impose : « Amen ».
Magnifique.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Albin Michel. Octobre 2008. 624 pages. 25 euros
(1)Éditions Bibliophane. 2006. Voir notre recension du 19-10-2006.
(2)Ainsi, en 2003, par exemple, le rabbin Shaoul David Botschko nous offrait : « À la table du chabbat. Commentaires sur la paracha de la semaine et les fêtes ». Éditions Bibliophane/ Daniel Radford.