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Publié le 19 Juin 2006

La mort d’un pote d’Emilie Frèche

Le jour de l’assassinat du jeune Ilan Halimi, Emilie Frèche, 30 ans, romancière et scénariste, auteur de quatre romans, eut le sentiment que le monde dans lequel elle avait grandi venait de s’effondrer. Dans son essai organisé autour de quatre chapitres (un crime générationnel, un crime antisémite, un crime importé enfin un crime d’indifférence) Emilie Frèche raconte l’effroi, et l’horreur : « Je n’entends plus les bruits qui m’entourent, je ne sens plus le sol sous mes pieds : je suis comme en apnée. Mort, juif, torture, Bagneux, trois semaines, jeune homme, appât, banlieue, juif, mort, torture, France, ces mots martèlent mon cerveau inlassablement, ces mots m’empêchent de réfléchir et puis de respirer, je regarde les gens qui marchent dans la rue, ceux qui sourient encore et ceux qui s’embrassent, ils me font peur ces gens-là, peur de n’avoir pas peur, moi je suis terrorisée. » Ces pages sont comme un cri désespéré.


Emilie Frèche est une enfant des années 80, cette génération qui portait en bandoulière la petite main jaune de SOS Racisme, parce que cela faisait joli et qu’il y avait un effet de mode, parce que les jeunes de l’époque pensaient qu’ils mettraient à bas le racisme, parce que… on ne sait plus très bien aujourd’hui pourquoi. Elle raconte que si elle fut bouleversée par cette affaire, « c’est que c’est un de ces potes qui est mort aujourd’hui. Je ne connaissais pas Ilan Halimi, mais lorsque je regarde son visage désormais à la une de tous les journaux, son sourire m’est familier. Il est celui de mes camarades de classes, il est le mien, il est le sourire d’une génération qui savait vivre autrement. » L’auteur oppose cette génération qu’elle idéalise presque naïvement à une autre génération : celle des années 2000 : « Cette génération qui n’a que l’argent comme horizon ». « Les membres du gang des Barbares appartiennent à une génération pour laquelle l’ultra-violence est une normalité. Un mode de vie, une culture » écrit-elle. Pourtant, ces comparaisons surprennent. Convient-il d’opposer une génération à une autre ?
Puis viennent des descriptions fortes, des pages entières pour raconter le gang des Barbares, l’insupportable incivilité, violence, barbarie. Et Emilie Frèche d’affirmer alors : « Le combat qu’il nous faut mener aujourd’hui ne se situe ni sur le plan législatif, ni sur le plan judiciaire. Nous ne manquons pas de lois, nous ne manquons pas de prisons ; ce dont nous souffrons, c’est d’éducation. » Elle revient sur cette question, plus loin (page 59) : « Youssouf Fofana appartient à cette nouvelle catégorie d’antisémites : il dit que « les juifs sont riches », et dans le même temps, il se défend de tout antisémitisme. Si ce garçon –et il n’est malheureusement pas le seul- est capable d’une telle contradiction alors qu’il a fréquenté l’école de la république, c’est que cette école n’a pas joué son rôle. » Et de proclamer : « Nous ne pourrons pas espérer des Français de demain qu’ils soient des citoyens, qu’ils adhèrent aux valeurs de notre pays, si l’école ne redevient pas ce lieu où l’on apprend à vivre ensemble. » Pour autant, précise l’auteur, « n’oublions pas que l’école n’est pas seule à instruire les jeunes. Le milieu et l’époque ont sur eux autant et plus d’influence que les éducateurs. »
Un essai touchant et intéressant.
Marc Knobel
Emilie Frèche, La mort d’un pote, Ed. du Panama, mai 2006, 126 pages, 12 euros.