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Publié le 20 Janvier 2010

Le bâton et l’eau chaude - Voyage d’un juif italo-tunisien, par robert modigliani (*)

El assa oul mê chkhoune. Originaire de Tunis, fils d’un Juif livournais et d’une Juive tounsia, c’est-à-dire autochtone, Robert Modigliani a choisi cette délicieuse expression judéo-tunisienne qui se traduit littéralement par « Le bâton et l’eau chaude » comme titre de son premier roman. Expression régulièrement assénée par les parents juifs tunisiens à leurs enfants chaque fois qu’ils étaient amenés à affronter les dures réalités de la vie, notamment à chaque rentrée scolaire. Un peu comme pour leur dire que les vacances, c’était bien fini, qu’il fallait définitivement replier les chaises-longues, dégonfler les matelas pneumatiques, remiser les ballons de volley-ball, reprendre le T.G.M. (Tunis-Goulette-Marsa) en sens inverse vers la capitale, abandonner le sable fin, la brise marine, le chameau du Saf-Saf et se préparer à échanger les cahiers de vacances de Loulou et Babette pour les tabliers d’écolier réglementaires, les plumes Sergent-Major et les récipients blancs emplis d’encre violette de l’école de la République.



Le roman du docteur Modigliani, une sorte d’autobiographie romancée, qui se lit tout d’une traite, va en réjouir plus d’un. Ceux qui y retrouveront, à peu de choses près, leur propre itinéraire et humeront avec un plaisir intense l’odeur du jasmin et des figues de barbarie, les piquants mais délicieux guerguèbes et tous les autres, ceux qui n’ont pas eu la chance de naître « tunes », mais qui découvriront avec bonheur un monde hélas, aujourd’hui disparu.
À travers les tribulations d’un petit Juif italien de Tunis, ce qu’on appelle un Guerni, c’est tout un art de vivre qui nous est offert. L’auteur nous propose, tout au long des pages, un véritable florilège d’expressions locales aussi pimentées qu’ensoleillées : Mektoub, bien sûr, mais aussi, Bléchi ( Tant pis), Mabrouk (Félicitations) Meskine (Le pauvre) ou encore Euchkeutt, ya rkika (Tais-toi, espèce de lourde). Et des dizaines d’autres vocables chatoyants. C’paspordjire, mais on fait un kif à chaque page.
Ce roman se compose de deux parties bien distinctes. La première, qui se passe à Tunis, est l’occasion d’un retour vers le passé, avec ses joies et ses peines et permet de suivre l’histoire récente de la Tunisie : la Seconde Guerre mondiale avec l’occupation du pays, l’Autonomie interne puis l’Indépendance et l’exode de la communauté juive. La seconde, qui se déroule à Paris, est l’occasion de suivre la carrière du héros, Nathanaël Montefiore, parfois en proie au doute et à l’angoisse du devenir. Victime d’une dépression nerveuse, Nathanaël interrompt ses études médicales. Il se lance dans la recherche neurobiologique et découvre, incidemment, une fraude scientifique pratiquée dans le laboratoire où il travaille. Loin de Tunis, de la Goulette et du Bou Kornine, Nathanaël, après la publication d’un article dans la célèbre revue scientifique Nature-une consécration- s’octroie une quinzaine de jours de vacances en Sicile en compagnie de Martine, l’une de ses étudiantes. La Sicile, la mer, des odeurs qui lui rappellent le lac Bahira de Tunis. L’appel du large et du néant envahit le héros…
C’est très frais et très agréable à lire. Une lecture que ne vient entraver ni le bâton, ni l’eau chaude. Un régal.



Jean-Pierre Allali



(*) Éditions L’Harmattan. Juillet 2009. 238 pages. 23,50 euros