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Publié le 19 Février 2007

Les Juifs de New York à l’aube du XXIe siècle : Communauté juive ou identités juives ? Par Corinne Levitt (*)

Voici un livre tout simplement remarquable qui, au fil d’une lecture passionnante, remplit les promesses de l’avant-propos : « un ouvrage qui présente dans leur globalité l’histoire, la religion, la sociologie et la culture des Juifs new-yorkais telles qu’elles s’expriment en ce début du 21ème siècle ».


Avec l’ascension démographique à laquelle on assiste aujourd’hui des « latinos » aux États-Unis, on peut constater combien ce pays a été et continue d’être une terre d’asile et, pour ce qui est des Juifs, comment ne pas ressentir ce que l’auteur appelle si justement la « profonde gratitude qui unit les Juifs américains à leur pays ».
1,6 million de Juifs vivent aujourd’hui à New York, ce qui en fait la première communauté juive de diaspora et son centre idéologique. Fait remarquable aussi, toutes les grandes organisations juives mondiales y ont leur siège ou y sont représentées. Mais surtout, ce qui fait la spécificité du judaïsme new-yorkais, c’est la multiplicité, la variété de l’identité juive qui n’a aucun équivalent à travers le monde. Avant même que la ville ne porte son nom actuel, qu’elle était hollandaise et qu’elle s’appelait Nouvelle-Amsterdam, sont arrivés, en 1654, les premiers Juifs. Vingt-trois passagers arrivés à bord du St Charles et qui seront très mal accueillis par le gouverneur Peter Stuyvesant. La conquête anglaise, en 1664, jouera en faveur des Juifs qui devront attendre toutefois 1729 pour construire leur première synagogue, Shearit Israël.
Dès lors commence une histoire riche et mouvementée qui va durer trois siècles jusqu’à nos jours. Entre 1564 et 1820, « nous assistons aux débuts d’une communauté embryonnaire, qui se bat pour l’acquisition de ses droits civiques et le maintien de son identité juive.
Les Juifs de New York, selon Corinne Levitt, peuvent être classés en deux grandes catégories : les Américains juifs et les Juifs américains. L’arrivée des Juifs des provinces allemandes à partir de 1820, puis à partir de 1880, le flux migratoire dû aux pogroms qui sévissent en Russie, entraînent des problèmes aigus d’intégration. Attirée par le mythe de la Goldene Medina, une véritable marée humaine se précipite dans le Lower East Side, créant de nombreux ghettos. Les Juifs sont alors au nombre de 60 000 dans la ville.
En 1821, un Juif, c’est une première, Mordechaï Manuel Noah est élu High Sheriff de New York. Il sera aussi consul…à Tunis ! Plus tard, en 1930, Fiorello La Guardia, un Juif d’origine italienne sera élu maire de la ville.
Les efforts d’américanisation sont réels et, à partir de 1930, on peut considérer que les Juifs constituent une composante importante du paysage politique new-yorkais. D’autant plus que leur nombre s’est accru de manière exponentielle : entre 1880 et 1920, un million et demi de Juifs s’y sont implantés. 4% de la population totale en 1870, ils en représentent 29%, cinquante ans plus tard.
Longtemps, les Juifs de New York s’orientèrent massivement vers l’industrie vestimentaire que la Guerre de Sécession, par sa demande constante, favorisa d’une certaine manière. Ils furent aussi très présents dans la fabrication du verre ou dans la confection des cigares. Certains n’hésitaient pas à se lancer dans le commerce du porte-à-porte. Sans oublier les professions « nobles » si prisées par les mères juives. Dans les années 1930, la moitié des médecins, des avocats, des dentistes et des instituteurs new-yorkais étaient des Juifs.
Par ailleurs, l’implication syndicale des Juifs fut particulièrement forte et les grèves mobilisant les « forces juives » très suivies. Deux exemples : en 1908, les Juifs représentaient 39% des membres des sections du parti socialiste de Manhattan et du Bronx et, dans les années 30, 40% des membres du Communist Party of the USA étaient juifs. On commença alors à évoquer l’existence d’un « vote juif ».
Après un très intéressant survol historique, la communauté actuelle est examinée du point de vue religieux et sociétal. Les Juifs se répartissent entre Orthodoxes, Réformés, Conservateurs et Reconstructionnistes.
Entre 7% et 10% des Juifs se reconnaissent comme orthodoxes aux États-Unis, mais ils sont 14% à New York. 42,4% des Juifs américains et 34,2% des Juifs new-yorkais se définissent comme réformés. En 1972, pour la première fois dans l’histoire du judaïsme, une femme, Sally Preisand, a été nommée rabbin. Fondé en 1922, le courant reconstructionniste, typiquement américain ne représente, lui, que 1% du judaïsme américain.
Des pages très intéressantes sont consacrées aux dynasties hassidiques, aux homosexuels juifs, aux relations, parfois tumultueuses, avec la communauté noire et à une communauté émergente à la destinée incertaine, celle des Israéliens (200 000 personnes aux U.S.A. dont 150 000 à New York), qui vivent en autarcie et dont on ne sait pas encore s’ils sont des immigrants ou des expatriés.
Un ouvrage dense et richement documenté, donc, mais on regrettera toutefois que l’auteur, dans un souci comparatif avec la communauté juive de France, commette quelques inexactitudes, considérant, par exemple que « la communauté juive est officiellement représentée par le Consistoire Central et ses antennes locales » et que « Quelques organisations telle que le Fonds Social Juif Unifié ou le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France veillent à la bonne marche des affaires communautaires ». Avec ce raccourci : « Au Consistoire la religion, au FSJU l’aide sociale, à l’Union des Étudiants Juifs de France la vie estudiantine et au Maccabi le sport ». Cette imprécision aussi : « Lors de sa visite à New York en 1995, le Grand rabbin René Samuel Sirat, chef du Consistoire Central de France …», ce qu’il n’a jamais été. Ou cette affirmation péremptoire : « Le profil religieux des Juifs correspond à des caractéristiques assez simples avec des Orthodoxes à la tête du Consistoire Central et de Paris ». C’est négliger l’infinie variété du judaïsme religieux français. C’est oublier surtout que le CRIF, organisme fédérateur, est considéré, à juste titre, par les pouvoirs publics, comme l’interlocuteur représentant l’ensemble de la Communauté, FSJU et Consistoire compris, même si ce dernier, pour l’heure, a gelé sa participation.
Mais, en dehors de cette remarque qui ne concerne pas directement le sujet traité, l’ensemble de l’ouvrage est vraiment exemplaire et mérite d’être lu, étudié et commenté.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Connaissances et Savoirs. 4ème trimestre 2006. 444 pages. 20€