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Publié le 26 Février 2004

Les volontaires de la mort. L’arme du suicide, par François Géré

Il ne se passe pas un jour, sans que la nouvelle d’un attentat-suicide, à Jérusalem, à Bagdad, en Afghanistan, en Turquie ou ailleurs ne soit annoncé. Avec son lot de corps calcinés et atrocement mutilés, avec sa cohorte de blessés sanguinolents, souvent estropiés à vie et, au centre du massacre, les restes déchiquetés de l’auteur de la tuerie, la bombe humaine, le volontaire de la mort, le VM.



Au nom de qui, au nom de quoi ? Dans quel sinistre et inhumain dessein ?

Le 15 janvier dernier, à Erez, principal point de passage entre la bande de Gaza et Israël, un VM se faisait exploser, entraînant la mort de quatre Israéliens. Revendiqué conjointement par le Hamas et les Brigades des « martyrs d’Al-Aqsa », un groupe issu du Fatah, cet attentat meurtrier a été perpétré par une très jeune femme, une Palestinienne, Reem Saleh Al-Riyachi, 22 ans, mère de deux enfants en bas âge.

Par quelle aberration mentale et à la suite de quel type d’embrigadement psychologique une maman peut-elle, quelles que soient ses ressentiments à l’égard d’un groupe humain adverse, abandonner sa famille pour aller s’automutiler mortellement et se transformer en charpie pour la seule satisfaction de nuire à l’ennemi ?

Pour tenter d’analyser le comportement de ces armes humaines quasi-imparables que sont les VM et « expliquer l’instrumentalisation inhumaine de la vie humaine », François Géré, spécialiste des questions touchant à la défense, remonte loin dans le temps, à la recherche de phénomènes plus ou moins similaires. Dans l’Antiquité, voici Socrate buvant la ciguë, les Grecs avec le sacrifice de Leonidas et des trois cents hoplites lacédémoniens du passage des Thermopyles, la devotio magique des Romains, le sacrifice de Samson ou celui des Macchabées. Remontant le temps, il nous décrit par le menu la secte des « Assassins », des chiites ismaéliens, « jalon historique dans la tradition du sacrifice propre à la culture islamique, première étape dans la représentation du combattant suicide ». Puis vient le temps du nihilisme russe, des kamikazes japonais, des volontaires viêt-minh, des Bassidje iraniens, des Tigres noirs du Sri Lanka, des septembristes de Ben Laden et des VM palestiniens, enfin, dont on ne soulignera jamais assez que contrairement à tous ceux qui les ont précédé, ils sèment la mort, sans distinction, parmi des populations civiles, homme, femmes, enfants, vieillards, Juifs ou non-Juifs avec, en ligne de mire obsessionnelle, une haine insondable contre Israël et le monde juif. « Happés dans une spirale de violence que personne n’avait prévue », les Palestiniens et notamment les islamistes forcenés « ne laissent aux Israéliens aucune autre alternative en dehors de la lutte à mort ». Et, explique l’auteur, tout comme les communistes avaient parié sur le sens de l’Histoire qui devait garantir l’effondrement des Etats-Unis et du capitalisme, les islamistes palestiniens parient aveuglément sur une victoire garantie par Dieu ! En témoigne le serment des partisans du Hezbollah : « Allah est notre but, le prophète est notre modèle, le Coran est notre loi, le djihad est notre vie, le martyre est notre vœu ».

L’action proprement inhumaine des V.M. ne peut se comprendre qu’au travers de deux principes intellectuels qui guident leurs commanditaires : la réification et la bestialisation de l’ennemi considéré comme n’appartenant pas à la race humaine, l’indiscrimination : Nos ennemis, les Juifs, sont tous des soldats, il faut donc les tuer tous.

« Produit d’une double réification (de soi-même et de l’adversaire), la nature du VM relève d’une double transgression, celle de l’ordre du biologique (respect de sa propre vie) et celle de l’éthique (respect de la vie d’autrui) ».

Au terme de cette enquête qui fait froid dans le dos, François Géré, pour lequel « comprendre n’est pas excuser ou accepter », envisage les ripostes possibles. Et si, militairement on peut, momentanément, imaginer toutes sortes de représailles, on n’arrivera au bout de l’action des V.M. qu’en démontrant à leurs chefs que leur ratio de rentabilité n’est pas en leur faveur. Et surtout, il faut universaliser la lutte contre ce phénomène terrifiant. « Le temps est en effet arrivé de saisir le droit international et les instances qui l’incarnent du fait de violence constitué par le sacrifice meurtrier et l’emploi délibéré de l’arme V.M. » « L’usage de l’arme V.M. , au même titre que la torture, devrait être, par principe, au nom de l personne humaine, tenu pour injustifiable et son usage condamné ». Un combat qui sera long et difficile. Un ouvrage passionnant à lire absolument.

Jean-Pierre Allali

Éditions Bayard. 2003. 304 pages. 20€