Basé essentiellement sur la lecture de « L’exil et la parole. Du silence biblique au silence d’Auschwitz », ce livre, conçu comme un manuel d’explication de texte, se propose, à travers le cheminement de Neher, de montrer que le silence étourdissant de Dieu à Auschwitz n’est pas une première dans l’histoire du peuple juif. Le texte biblique, dans sa structure même et dans la relation des faits qu’il rapporte comme dans la narration de la vie tourmentée de certains personnages, est plein de ce silence. Et il faut la baguette de coudrier du véritable « sourcier du silence » que fut Neher pour nous guider vers un début de compréhension de ce qui, au premier abord, pourrait apparaître comme un abandon de l’Homme par son Créateur.
« Si D-ieu s’est tu à Auschwitz, était-ce pour la première fois dans l’histoire de l’homme ? La Bible ne témoigne-t-elle pas de silences intérieurs, qu’il s’agisse des silences de D-ieu ou de ceux des hommes ? La lecture ou plutôt la relecture de la Bible avec l’expérience de la Shoah ne nous permet-elle pas de mettre en avant, les zones de silence, de les réinterpréter avec ce nouvel éclairage, afin de mieux cadrer le silence d’Auschwitz ?
Dans sa démarche, Neher procède toujours par trois paliers : repérage, interprétation, actualisation. Par petites touches successives, le texte neherien, soigneusement découpé est analysé et commenté.
Le silence biblique peut avoir des causes très diverses : la peur d’Adam et Éve après la faute au Gan Eden n’est pas de la même nature que la gêne de Caïn après le meurtre d’Abel, l’attitude morale d’un Amos (« L’homme prudent se taît », « L’homme avisé se taît ») n’est pas comparable à la démagogie silencieuse de Pharaon feignait de ne pas reconnaître Joseph. Le silence biblique se présente sous forme de « nœuds » ou de « nappes ». Quant au silence de Dieu, il peut être, selon les circonstances, absence ou éclipse. Qu’il soit dama (se taire) ou chatak (calme silencieux), le silence est d’une infinie variété. Il peut être inerte ou énergique voire masqué, ou marquer le refus du dialogue, de la parole, du davar.
Adam, Caïn, Abraham, Job, Jonas, Ézéchiel, Élie Wiesel, enfin,, tout, peu à peu nous amène au silence d’Auschwitz.
« Les martyrs d’Auschwitz sont les martyrs du silence » dit Uri Zvi Grinberg. Et Neher : « À Hiroshima, Dresde ou Coventry, les faits ont été bruyants et le vacarme de la douleur a immédiatement atteint et saisi le monde entier…Alors qu’à Auschwitz tout s’est déroulé, accompli, consommé, durant des semaines, des mois et des années, dans le silence absolu, à l’écart et à la dérive de l’histoire ».
Face à l’indicible de la Shoah, plusieurs approches philosophiques ont vu le jour. Pour Théodore Adorno, qui se révolte contre le sens : « Après Auschwitz, aucune poésie, aucune forme d’art, aucune affirmation créatrice ne sont plus possibles ». Pour d’autres, le silence divin est dû à une faute humaine. Tandis que le Rabbi de Satmar met en cause « l’hérésie sioniste », Rabbi Teichtal, accuse, lui, le manque de sionisme. Martin Buber émet l’hypothèse de l’éclipse divine : « La Shoah est une éclipse de D-ieu. Comme toute éclipse, elle est passagère ». La théorie la plus séduisante et la moins angoissante est celle de Margarete Susman : « La coopération de D-ieu et de l’homme sont indispensables à l’avancement messianique de l’histoire. Il y a des choses, dans cet avancement, qui ne peuvent être faites que par D-ieu. D’autres qui ne peuvent être réalisées que par l’homme. La plupart enfin exigent la coopération de D-ieu et de l’homme. Lorsque l’un des deux coopérants abdique, il faut que l’autre prenne sur lui le double de la tâche »
« Pour sa part, considère Francine Kaufmann, citée par Petit-Ohayon, Neher réfute la théorie d’une quelconque faute d’Israël ou d’une stratégie pédagogique de l’épreuve. Il proclame l’innocence du peuple juif, nouveau Job des temps modernes, juste souffrant par la faute d’un accusateur satanique »
Très intéressant, donc. On regrettera toutefois une relecture orthographique insuffisante.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Biblieurope/FSJU. Janvier 2007. 296 pages. 15 €