A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 13 Octobre 2010

Photos ensevelies du Ghetto de Lodz au CHRD de Lyon

Miraculeusement conservées, les troublantes photographies d’Henryk Ross dévoilent la vie du ghetto dans ses moments les plus intimes et les plus dramatiques.



Lodz est en 1939 la plus grande ville industrielle de Pologne, riche d’un grand nombre de fabriques essentiellement tournées vers l’activité textile. Comme dans de nombreuses villes d’Europe centrale occupée, les nazis y établirent un ghetto dès février 1940, « le premier dans l’ordre chronologique et le second, après celui de Varsovie, par l’importance numérique », rappelle Primo Levi. 160 000 Juifs seront enfermés dans le ghetto de Lodz, qui ne sera dissous qu’à l’automne 1944, faisant de lui le ghetto « à la plus longue existence ».



Cette longévité, due à l’importance économique du lieu organisé en camp de travail et à la personnalité de son président, le doyen Rumkovski, explique l’existence de nombreux témoignages, écrits ou photographiques, parvenus jusqu’à nous. Parmi eux, figurent les troublantes images d’Henryk Ross, survivant du ghetto quand 95% de ses habitants disparaissent dans les camps de Chelmno et d’Auschwitz. Juif polonais, Henryk Ross est à partir de 1940 le photographe officiel du ghetto, chargé de faire des photographies d’identité et de propagande pour le département des statistiques. Tout au long de ses quatre années de détention, il va également réaliser des milliers de clichés qui vont rendre compte de la vie quotidienne dans le ghetto. Aux images terribles des pendaisons, celles rendant compte de la famine et des déportations, semblent se succéder, comme un affront, des instantanés de joie ou de bonheur : couple d’amoureux, famille unie, mère embrassant son enfant, jeunes gens se jouant de la perspective pour le plaisir du photographe. Les quarante et une photographies présentées au CHRD vibrent de stupeur et d’enseignement : elles nous dévoilent la géographie du ghetto, le fonctionnement d’une société recomposée au travail et sous contrôle, elles nous renseignent sur les mécanismes de l’extermination et nous transmettent enfin une part de cet espoir, de ce souffle vital qui « malgré tout » permet d’entretenir l’idée que la lutte pour la survie peut avoir un sens.



Après la prise de Lodz par les troupes soviétiques, Henryk Ross déterre ses images et fait le choix de n’en publier que quelques-unes parmi les plus dramatiques, notamment lors du procès d’Adolf Eichmann. Il redoutait en effet de livrer une vision inattendue de ce qui fut le « mouroir de l’Europe », selon l’expression d’Oskar Rosenfeld. Il aura fallu attendre le legs de son fils, en 1997, à une fondation privée britannique pour que soient diffusées la totalité des images ensevelies par lui à l’annonce de la liquidation du ghetto. Aujourd’hui, la dégradation des tirages, qui broie jusqu’aux photos les plus joyeuses, rappelle le destin commun des habitants du ghetto, comme si l’état de conservation de ces clichés faisait partie intégrante de leur histoire.



Autour de l’exposition, Jeudi 20 janvier à 18h : Chronique couleur du ghetto de Lodz



La diffusion du documentaire de Dariusz Jablonski constitue le pendant idéal à la présentation des photographies clandestines d’Henryk Ross. Il dévoile en effet quatre-vingt-treize diapositives couleur, prises entre 1940 et 1942 par l’Autrichien Walter Genewein, intendant du ghetto de Lodz. À la fascination de la couleur succède vite un sentiment d’étonnement devant les scènes photographiées qui montrent la vie dans une ville industrieuse et paisible en apparence. La vision du fotoamator nazi trouve un contrepoids dans la présentation de documents d’archives d’origine et polonaise, ainsi que dans le témoignage d’un survivant, auquel le réalisateur a confié la mission de révéler le sens caché des images. À l’issue des 35’ de projection, Jacques Walter* interrogera la construction et la réception publique de ce documentaire.



* Sociologue, directeur du Centre de recherche sur les médiations, Université de Metz
et codirecteur de la Maison des sciences de l’homme de Lorraine



Visites commentées : 24 octobre et 28 novembre 2010,3 0 janvier et 13 février 2011
Inscription conseillée – Prix : 3 € +entrée au musée
CHRD – 14, avenue Berthelot 69007 Lyon



Photo : D.R.