Dès le début de l’ouvrage consacré, on l’aura compris, aux points de divergence entre judaïsme et christianisme, des précisions intéressantes sont données sur les Minim, les Saduccéens et les Samaritains, le « Meissith », idolâtrie individuelle, le « Madiah », séducteur d’une collectivité, le « Megadef » ou blasphème et le « Mekhachef », sorcellerie, les démons et les mauvais esprits. Ou encore sur le fameux procès de Jésus. Une mine de détails précieux sont fournis sur la raison de la pratique des vins cachers avec un examen minutieux de ce qui fait Yeïnam, « leur vin ». Pour l’auteur, il y a bien longtemps que les rabbins se sont rendu compte que « les peuples en dehors d’Israël ne sont plus véritablement des idolâtres, mais ils pratiquent par habitude des coutumes ancestrales ». Un chapitre qui est l’occasion d’une enquête sur l’activité viticole des Juifs au Moyen Âge.
Puis, patiemment, l’auteur démonte la construction intellectuelle et philosophique de cette cathédrale en forme de fortin qu’aura été le christianisme. Un travail titanesque, certes, mais pernicieux. Tout le travail des rédacteurs du Nouveau Testament puis des Pères de l’Église, dit l’auteur, a consisté à introduire Jésus dans la Thora. Pour cela, ils n’ont reculé devant aucun artifice : « ils prennent des demi-phrases de la Bible hébraïque qu’ils sortent de leur contexte, et ils les emploient souvent dans un sens totalement opposé au sens initial. Ces citations sont souvent la colonne vertébrale du N.T. ». Un exemple, parmi bien d’autres : le psaume 110, verset 4 : « l’Éternel en fait le serment qu’il ne révoquera point : tu es prêtre pour l’éternité à la façon de Melchisédech ». Pour les rédacteurs du N.T., ce serment s’adresse à Jésus alors que pour les Juifs il est destiné à David.
Dans cette construction monumentale, la part du lion revient à Paul. Un « génie universel », aidé par les Esséniens et à qui l’on doit la moitié des écrits du N.T.
En fait, voilà comment les choses se sont passées : « Les chrétiens ont quitté la loi juive pour s’attacher à la morale stoïcienne. Les Pères de l’Église, qui sont pour la plupart des philosophes convertis, se voient contraints de plaider pour le christianisme devant un monde païen, dans l’espoir de les convertir, certes, mais aussi pour mettre fin aux accusations d’immoralité dont les chrétiens étaient l’objet…D’où l’introduction, non avouée la plupart du temps, de la morale stoïcienne dans l’éthique chrétienne en voie de formation. Les concepts en sont l’universalisme, l’égalité et la fraternité humaine ». Dès lors la rupture avec le judaïsme est consommée car « Quel est l’homme idéal typique pour les rabbins ? C’est l’homme de la halakha. Cet homme s’oppose typologiquement à l’homme de Paul et du christianisme ».
Face à cette nouvelle religion sans loi, les rabbins sont désemparés. Pourquoi Paul, Juif lui-même, ne s’est-il pas contenté de prêcher le Dieu d’Israël et le respect des sept lois noachides aux Gentils, se demandent-ils.
Or, s’exclame avec véhémence Jean Hirsch, « Trouve-t-on dans la Torah trace de la notion d’annulation de la loi du Sinaï par la venue et la mort du Messie ? Il n’y a aucun fondement permettant l’annulation de la Torah et son remplacement par une Torah nouvelle lors de la venue du Messie dans l’enseignement des sages antérieur à Paul ». Sans oublier que « le problème qui nous sépare le plus du christianisme est celui de l’incarnation ». C’est tout simplement une « profanation du nom divin dont la Croix est le symbole ».
Si l’on voulait conclure d’une phrase, disons que « L’incarnation, la Croix, seront toujours incompréhensibles pour un Juif ».
En prime, sous forme d’Excursus, l’auteur nous offre des textes édifiants de Benamozegh et, surtout, de Hasdaï Crescas qui sont autant de bases solides pour une disputation toujours d’actualité.
Édifiant
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Connaissances et Savoirs. 2ème trimestre 2007. 386 pages. 25€