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Publié le 3 Décembre 2002

Réseaux islamiques Mariam Abou Zahab et Olivier Roy CERI/ Autrement, septembre 2002-11-28

Les auteurs sont tous deux politologues.



Olivier Roy est un auteur prolifique, reconnu comme spécialiste de l’Islam, il a ainsi publié trois ouvrages entre août et septembre 2002 : L’Islam mondialisé où il explique que les mouvements islamistes les plus radicaux aient été forgés, pensés depuis l'Occident ; Les Illusions du 11 septembre : Le Débat stratégique face au terrorisme où il analyse les réactions des États-Unis face à l’islam et l’islamisme qui conduiraient les mouvements radicaux soit à une fuite en avant dans des attentats de plus en plus improvisés, soit à une reformulation de leur stratégie autour de l’action prédicative, mais où il reprend aussi sa thèse d’un Islam radicalisé venu de l’Occident et pose la question de la place de l’islam en Europe entre intégration, concordat et multiculturalisme. En février, il avait réédité en collection Pluriel, Généalogie de l’Islamisme. Ce dernier ouvrage reprend en partie ces différentes observations.

Mariam Abou Zahab est moins connue du grand public. Elle est spécialiste du Pakistan et a écrit par exemple des articles sur la conception du martyre chez les moudjahidin pakistanais au Cachemire, dont l’analyse est reprise ici.


Dans ce petit livre (85 pages y compris la biographie des auteurs, un glossaire, une bibliographie et deux cartes de la région), pas de grandes théories, mais une présentation concise et précise de l’histoire des différents groupes qui se côtoient dans la région. Groupes qui se distinguent d’avantage en rapport avec leur tendance ethnique ou locale - certains ayant accepté de se plier au jeu démocratique - ou au contraire internationaliste, que par leur rapport à la charia. Ceux qui ont opté pour le Jihad armé, action à court terme et ceux qui ont opté pour le Dawat (prédication), action à long terme. Ceux qui sont financés par l’Arabie saoudite ou l’Irak ou plutôt soutenus par le Pakistan avec une formation dans les madrassas. Leur création et leur utilisation d’abord dans la concurrence entre Union soviétique et Etats Unis, puis dans la guerre pakistano-indienne pour le Cachemire avant qu’ils ne s’autonomisent en se radicalisant.


Au niveau international, les auteurs distinguent les premières générations des groupes internationalistes comme al-Qaïda plus souvent arabes, des deuxièmes générations comportant systématiquement un passage par l’Occident et comprennent de nombreux convertis, qui ont des réseaux plus implantés en Europe qu’au Pakistan.


Au niveau local, les auteurs prévoient un affaiblissement dans toute cette région du courant jihadiste - qui se recentre au Cachemire - et internationaliste au profit de logiques étatiques et nationales. Le 11 septembre ayant introduit une nouvelle donne oblige le Pakistan à se redéfinir comme Etat-nation et non comme Etat idéologique et rend vraisemblable un affrontement avec les mouvements jihadistes. « C’est donc le Pakistan qui est aujourd’hui et plus que jamais le nœud central de la mobilisation des réseaux locaux ».


A retenir l’analyse de la conception du martyr (p. 42-46) : « Comme en Palestine, des jeunes sans perspective d’avenir disent donc : « je veux qu’on se souvienne de moi comme d’un martyr. » Dans la société pakistanaise extrêmement hiérarchisée, centrée sur le statut et où les différences sociales sont de plus en plus marquées, (…) les groupes défavorisés compensent leur infériorité en termes de pouvoir et de statut socioéconomique par une religiosité ostentatoire et, surtout, par le prestige immense qui découle de la participation au Jihad au Cachemire et qui rejaillit sur toute la famille du combattant et encore plus sur la famille du martyr. (…).

En effet, outre le prestige considérable dont elle jouit, la famille du martyr voit son statut progresser en termes de privilèges car elle reçoit des biens matériels et souvent de l’argent. (…) L’Islam interdisant le suicide – même si les martyrs ne sont pas considérés comme des suicidés puisque le Coran indique qu’ils ne sont pas morts mais toujours vivants auprès de Dieu -, ils ne partent pas pour des missions où la mort est certaine, ils choisissent des opérations où ils ont une chance, si infime soit-elle de revenir vivants ».

Leur objectif est « de faire le plus de mal possible à l’ennemi pour que les générations futures s’en souviennent et qu’elles aient peur de la mort. C’est pourquoi les opérations du Lashkar-e Taiba contre les hindous se caractérisent par une grande sauvagerie (femmes et bébés tués, victimes décapitées et éviscérées) ».