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Publié le 15 Novembre 2005

Sous la direction de Frédéric Encel et Eric Keslassy. Comprendre le Proche-Orient. Une nécessité pour la République

Le titre de cet ouvrage collectif est curieux pourtant il se justifie pleinement. Les événements qui se succèdent à une vitesse folle au Proche-Orient sont médiatisés ou interfèrent dans nos vies et provoquent crispassions et irrationalités. Dans leur avant-propos, Frédéric Encel et Eric Keslassy proclame que les événements du Proche-Orient de devraient pas affecter notre cohésion nationale. Pourtant, depuis cinq ans, le conflit israélo-palestinien s’importe. On ne débat plus, on s’emporte, on manifeste, on stigmatise. Et cette malsaine passion emporte tout sur son passage. Elle génère de la violence avec son lot de menaces et/ou d’intimidations antisémites. Il faut donc dépassionner le débat, veiller à y introduire plus de rationalité. Comment ?



Dans une première partie, l’objet de cet ouvrage est de comprendre le Proche-Orient, en revenant aux faits, sans « passion et avec raison ».

Dans un texte très riche, Georges Bensoussan démontre par exemple la nécessité d’en revenir à l’histoire. Or l’histoire se heurte d’emblée à deux mythes récurrents que Bensoussan récuse : d’une part, celle qui ne perçoit dans le sionisme qu’une « réponse à l’antisémitisme » ; d’autre part celui qui considère la création de l’Etat d’Israël comme une conséquence (plus ou moins directe de la Shoah). Or, parler du Proche-Orient, d’Israël, du sionisme ou du conflit, suppose une très grande rigueur. De quoi parle-t-on au juste ? Sait-on par exemple que le sionisme ne commence pas avec l’affaire Dreyfus, ni avec Herzl, ni même avec les pogroms russes et polonais des années 1881-1884 mais qu’il prend racine au milieu du XIXe siècle ? Georges Bensoussan insiste également sur le lien à la fois séculaire et mystique qu’entretiennent depuis toujours les Juifs avec leur terre. Par ailleurs, l’historien propose aussi de disposer d’outils suffisants qui permettent de comprendre pourquoi le sionisme insupporte tant et en quoi la libération de l’opprimé (le juif émancipé et désaliéné) rend à ce point malade son oppresseur ou les bonnes âmes.

Pour le philosophe Pierre-André Taguieff, la réprobation d’Israël prend des formes malsaines et hystériques : « génocide », « apartheid », « purification ethnique », « racisme », « génocide »… et, la grande vague de judéophobie d’expansion planétaire aujourd’hui observable a pour moteur principal l’anti-israélisme, élaborée par la propagande soviétique autant que par la propagande arabo-musulmane. Taguieff explique avec brio que cette mondialisation s’est opérée immédiatement après la guerre des six Jours sur la base d’un antisionisme radical ou absolu, récusant le droit à l’existence d’Israël. Pierre-André Taguieff rappelle notamment que la nazification d’Israël ou des Juifs a une valeur instrumentale : elle permet, de mettre en place un mythe manichéen opposant les nouveaux « nazis » que seraient les « Juifs sionistes » et les « nouveaux prolétaires » porteurs de l’avenir radieux de l’humanité que seraient les Palestiniens.

L’historien israélien Ilan Greilsammer pense qu’énoncer une histoire « sereine » du Proche-Orient suppose de se défaire de mythes qui ont le vie dure. Pour autant, est il possible d’écrire une histoire « objective » du Proche-Orient, s’interroge l’historien ? L’auteur de cette étude constate que les premiers insistent sur les aspects positifs du sionisme : le retour du peuple Juif dans sa patrie ancestrale, l’idéalisme des pionniers, le nouvel homme hébreu, la renaissance d’une terre inculte et délaissée, le socialisme humaniste des kibboutzim et de la Histadrout… Les autres insistent sur le colonialisme sioniste, la collusion avec le pouvoir colonial, l’éviction des Palestiniens de leurs terres, le « plan » sioniste de les expulser, les atrocités commises durant la guerre de 1948, l’expansionnisme d’Israël. Et, rares, très rares sont les ouvrages d’histoire de ce conflit qui parviennent à prendre sincèrement en compte les deux narratives, les deux récits, les deux points de vue. Greilsammer -qui se définit comme un Juif religieux et comme un sioniste de gauche- va plus loin encore. Il dit ne pas voir pourquoi l’Etat d’Israël ne pourrait pas revenir « sur les circonstances tragiques qui ont entouré sa création. Le fait d’être sioniste de conviction ne doit pas empêcher l’historien israélien de reconnaître que la fondation de l’Etat Juif s’est entourée d’actes atroces, tristes et regrettables commis à l’égard de la population palestinienne », écrit-il. Or, poursuit-il, une « vision honnête de l’histoire du conflit conduit à n’épargner ni les Israéliens, ni les Palestiniens. Bien au contraire. » Et de conclure que l’historien « honnête » doit aussi « reconnaître que jusqu’à Oslo, les Palestiniens n’ont jamais accepté le fait de l’existence d’Israël. Jusqu’à aujourd’hui, ils n’ont pas annulé le droit au retour et la plupart des Palestiniens ne semblent pas avoir renoncé au rêve de détruire un jour l’Etat d’Israël. » Avec une démarche géopolitique, Frédéric Encel dénonce parfaitement les fantasmes qui entourent la légalité internationale d’Israël. Celle-ci est inattaquable. Il s’interroge également sur l’idée de « poudrière » accolée au conflit israélo-palestinien et analyse la portée de deux phénomènes : l’importance prise par les massacres de Sabra et Chatila en 1982 et, véritable phantasme, le fait qu’Israël envisagerait de transférer -expulser- les Palestiniens de son territoire. Daniel Dayan, qui est directeur de recherches au CNRS, remarque qu’une guerre semble s’être livrée contre les Israéliens, quotidiennement confirmés dans leur rôle de « monstres de la Méditerranée » et par extension également contre tous ceux qui les soutiennent. Selon Dayan, le déclenchement de cette guerre a coïncidé, avec le déclenchement de la seconde Intifada. C’est à ce moment précis, que Daniel Dayan dit ne plus comprendre le sens que des journalistes pourtant renommés peuvent donner à la notion d’information. C’est à ce moment précis également, qu’il décide de prendre des notes sur des textes ou sur des images, qu’il qualifie de pauvres en contenu informatif et de riches en représentations hostiles.

Dans la seconde partie, Malek Boutih, ancien président de SOS Racisme, insiste sur la dimension essentielle de la lutte contre l’antisémitisme. Dans son esprit, il existe une spécificité de l’antisémitisme par rapport aux autres formes de racisme. Il considère donc qu’une meilleure connaissance de ce qui se joue au Proche-Orient est nécessaire, même s’il souligne lui aussi que la paix entre Israéliens et Palestiniens n’empêchera certainement pas la haine à l’égard des Juifs de perdurer. Face au communautarisme qui se consolide chaque jour, le sociologue Dominique Schnapper propose de ne jamais s’éloigner de l’universel républicain. Selon lui, la défense des valeurs universelles ne devrait en aucun cas être supplantée par la solidarité « juive » ou arabo-musulmane ». Une troisième partie porte sur l’école, en tant que terrai miné. A l’école, l’importation du conflit israélo-palestinien n’est que l’une des explications de la recrudescence des actes et des paroles antijuives. Dans ce cadre, les enseignants -estime Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherches au CNRS- ont un rôle fondamental à jouer pour contrer cette partie de « l’antisémitisme scolaire ». Alors qu’Alexis Rosenbaum, à l’aide d’une réflexion fondée sur la psychologie sociale, pose trois questions auxquelles les enseignants sont confrontés lorsqu’ils abordent ce conflit. Selon lui, les interventions idéologisées et politisées des élèves prennent le pas sur une argumentation raisonnée.

Bref, un livre essentiel qui permet de s’interroger et de comprendre les enjeux et les problématiques qui se tissent au quotidien dans cette région compliquée du monde.

Marc Knobel

Sous la direction de Frédéric Encel et Eric Keslassy. Comprendre le Proche-Orient. Une nécessité pour la République, Editions Bréal, 347 pages, octobre 2005, 21 euros.