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Publié le 5 Juin 2007

Spécial guerre des Six Jours La Règle du jeu : Israël : 40 ans après. La guerre des Six jours

Ce numéro 34 de « La Règle du jeu », dirigée par Bernard-Henri Lévy est une merveille. Nous le soulignons. Il faut d’abord beaucoup de talent pour diriger une telle entreprise. Salomon Malka, (directeur de Radio Communauté Judaïque FM) a coordonné avec brio ce dossier sur les quarante ans de la guerre des Six jours. Il a contacté les meilleurs spécialistes, ou tout au moins, ceux qui ont quelque chose à dire sur cet événement majeur de notre histoire contemporaine. Il faut ensuite toujours autant de talent pour écrire ou résumer toutes les impressions : l’attente, l’angoisse, la peur et tout autour d’Israël, cette lame de fond : la haine inexorable, les « tuons les Juifs, égorgeons les » que l’on scande un peu partout du Caire à Damas. Puis, cette guerre éclair, si rapide qu’en Six jours, les armées arabes furent totalement défaites. Les textes sont admirables. Je pense notamment au texte de Denis Charbit dont nous reproduirons de larges extraits sur le site Internet du CRIF et la conversation entre Ilan Greilsammer et Haïm Gouri.


Dans l’entretien qu’il accorde à Salomon Malka (pp. 226 – 232), Ephraïm Halévy (ancien Chef du Mossad) souligne à quel point la guerre des Six jours a été un tournant pour Israël. D’une formule presque magique tellement elle est véridique, Halévy note que cette guerre « est l’événement déclencheur de la place d’Israël dans un monde où son succès, sa prospérité et sa survie allaient devoir dépendre non seulement de sa capacité à se défendre et à assurer sa sécurité, mais aussi de sa capacité à établir des alliances et des buts communs avec les acteurs de la scène internationale. »
Une magnifique plume et un récit émouvant. Le journaliste à la radio et à la télévision israélienne Emmanuel Halperin compte ses souvenirs (pp. 146 – 167). Nous sommes le 15 mai 1967, au soir du dix-neuvième anniversaire de l’Etat d’Israël, au palais de la Nation à Jérusalem. Halperin parle de ce festival de la chanson qui se déroulait ce jour là. Cinq jeunes gens allaient interpréter des chansons spécialement commandées sur Jérusalem. D’une voix frêle, une jeune fille vêtue de blanc interprète alors « Jérusalem, ville d’or, ville de cuivre et de lumière » qui allait devenir un succès populaire. Elle s’appelait Shouli Nathan et passerait sa vie à chanter cette ballade composée par Naomi Shemer. Cette chanson s’était imposée naturellement, à un moment ou l’ambiance était morose. C’est cette ambiance pesante que narre Halperin. Ce sont les menaces ourdies par le monde arabe qu’Halperin raconte également et brièvement. Puis, Emmanuel Halperin parle de Jérusalem, à l’époque Jérusalem est une ville coupée en deux, on bute partout sur la frontière et de sa fenêtre, il voit des keffiehs rouge et blanc des soldats jordaniens. « Les trois semaines d’attente qui ont précédé le premier coup de feu ont été les plus longues de l’histoire d’Israël. On ne sortait plus son transistor. On suivait avec angoisse les informations de plus en plus inquiétantes que diffusait la radio. Certains écoutaient, comme pour se faire encore plus peur, les émissions en hébreu de la radio égyptienne… La « voix du tonnerre » diffusait donc les discours belliqueux de Nasser, ses menaces de détruire « l’entité sioniste » et rendait compte de la grande manifestation de la place Tahrir au Caire où un million d’Egyptiens, disait-on, avaient crié à tue-tête : « Itabh el yahoud » - « massacrons les Juifs. »
Dans un autre style, Israël Finkelstein (archéologue israélien) aborde un autre sujet (pp. 184 – 193). La guerre des Six jours et la période qui a immédiatement suivi ont provoqué une véritable révolution dans la recherche archéologique. Finkelstein parle « de fenêtre d’opportunités ». Elle le resta près de vint ans, jusqu’à la première Intifada palestinienne en 1987. Ces vingt ans de calme permirent une recherche intensive, dans les moindres recoins de la région, précise-t-il.
Finkelstein se raconte aussi. Il est né après la guerre de 1948, une génération d’archéologues qui empruntèrent le chemin tracé de l’archéologie biblique traditionnelle. Finkelstein explique qu’ils remplacèrent ainsi « la lecture simpliste du texte biblique, perçu jusqu’alors comme une chronique événementielle, par une analyse plus complexe des processus historiques, fondée sur la collection et l’interprétation des données archéologiques. Il s’agissait de donner à l’archéologie des temps dits bibliques ses lettres de noblesse et d’en faire enfin une science indépendante. » Finkelstein se demande finalement ce que tout cela serait advenu sans la guerre des Six jours, tout en admettant aisément que cette guerre de 1968 et ses conséquences ont eu un impact « décisif » sur l’évolution de l’archéologie et même sur la société israélienne.
Dès la première ligne de son texte, Shalom Rosenberg (de l’Université hébraïque de Jérusalem) pose ce principe (pp. 198 – 212): « l’histoire de l’Etat d’Israël est une suite de dilemmes moraux. Et d’ajouter « Tout c’est passé comme si le ministre de l’Histoire avait choisi ce pays pour qu’il devienne un laboratoire rude et cruel dans lequel se réalisent les expériences les plus difficiles destinées à vérifier la possibilité de tisser ensemble politique, loi et éthique. Ces dilemmes sont en fait posés à l’ensemble du monde démocratique mais, comme cela s’est déjà répété plusieurs fois dans l’Histoire, le peuple juif y a été confronté plus tôt et avec une plus grande acuité. » Tout est dit. Mais il faut attendre les quelques lignes suivantes, pour lire ce passage émouvant que nous reproduisons ici : « D’une certaine façon la lecture de l’article 20 (de la Charte palestinienne, rédigée en 1964) m’a ouvert les yeux à l’époque. J’ai toujours pensé que si je réussissais à créer un Etat Juif dans une île artificielle au milieu de l’océan Pacifique ou dans un village imaginaire sur la planète Mars, je vous débarrasserais de moi et je résoudrais mes problèmes. Mais vous m’expliquez là que cela ne va pas arriver. Il s’avère que le combat que vous menez contre moi ne se fait pas seulement au nom de la propriété de la terre que je vous « aurais » prise, mais contre mon arrogante prétention à réclamer le titre de « peuple ». Au nom de la lutte pour les théories et les idéologies véritables, vous me combattriez, même sur la planète Mars, puisque même là-bas je serai un « Etat artificiel ». Voici donc un autre exemple de la dégradation du conflit. Ce qui aurait dû rester une lutte territoriale a pris d’autres formes. Dans la convention palestinienne, avant la guerre des Six jours, la lutte acquiert une autre dimension. Elle est dirigée contre l’identité juive collective propre, l’identité nationale. Cela n’est pas sans rappeler l’idéologie stalinienne, qui a décidé au début du XXe siècle que les Juifs ne répondaient pas aux critères qui définissent un peuple. Si vous me redemandez à moi, Juif israélien et sioniste, si nous sommes un peuple, je vous donnerai une double réponse : je suis prêt à vous démontrer grâce aux instruments de la philosophie politique, du droit international, de la pensée humaniste, que les Juifs ont le droit de se constituer en peuple, mais je ne veux rien prouver. Descartes a ouvert les portes de la nouvelle philosophie, avec la conscience que je peux douter de tout, mais que je ne peux pas douter du fait de douter. Et si je doute, c’est que je pense. A partir de là, on a un nouveau point : « Je pense, donc je suis. » Le sionisme a commencé par un mouvement de conscience semblable, peut-être me permettrez-vous de le formuler ainsi : « Je souffre, donc je suis. » Nous pouvons douter de tout. Nous pouvons tout discuter sauf une seule chose, que moi – le Juif collectif -, j’existe. Sur cette vérité-là, je ne suis pas prêt à transiger. Il est possible que je ne corresponde à aucune des définitions admises, mais la revendication sioniste a consisté à demander un changement dans la définition. A quoi ressemble cette situation ? A celle d’un malade qui passe des examens médicaux auprès de spécialistes qui soutiennent, en s’appuyant sur les livres de médecine, qu’il est mort. Le malade ce diagnostic est-il obligé de l’accepter ? Le fait même qu’il repousse ce diagnostic prouve qu’il est vivant. Le commencement est en effet la sensation profonde ; la suite, c’est le sionisme. Nous réclamons une définition nationale propre, non par quête d’une reconnaissance utilitaire ou intéressée d’un groupe d’experts ou de penseurs, mais pour le seul mérite de notre existence. Nous sommes un peuple. »
Un numéro complet avec d’autres articles d’une tout aussi grande richesse. A lire absolument.
Marc Knobel
« La Règle du jeu », numéro 34, mai 2007, 15 euros.