Face au cri d’alarme régulièrement renouvelé : « Le peuple juif est en voie de disparition ! » (2), se pose, de manière récurrente, à chaque génération, la question : « Comment transmettre le patrimoine juif ? ».
Il est vrai que la multiplication exponentielle des mariages dits mixtes entraîne, de facto, une dissolution du sentiment d’appartenance à la communauté juive. Il est non moins exact que dans ces mariages, la composante juive a souvent tendance à l’emporter sur l’autre : chrétienne, musulmane ou laïque, probablement parce que la « vie juive », par son côté familial et festif est plus attractive que l’environnement non-juif, souvent égoïste et hypermatérialiste.
Inquiétude donc, face à la transmission. Que restera-t-il, demain, d’un monde qui a été le nôtre, celui de nos parents et de nos grands-parents ? Et si nous ressentons, au fond de nous, légitimement, le besoin de transmettre, comment devons-nous le faire ? Comment, dans la réalité, l’avons-nous fait et comment continuons-nous de le faire ?
Pour répondre à ces questions et à bien d’autres, Étienne Gotschaux a réuni des témoignages. Cinquante quatre. Nombre éminemment symbolique puis qu’il est celui des parachiotes, les péricopes qui découpent tout au long de l’année, dans nos synagogues, le texte biblique.
L’auteur a demandé à des hommes et des femmes de toutes origines et des tous milieux, religieux ou non, de dire leur façon de transmettre leur judaïsme. Des artistes et des écrivains, des médecins, des avocats, des commerçants ou encore des dirigeants communautaires.
À la lecture des témoignages, tous très intéressants, on est en droit de se demander comment l’auteur a été amené à sélectionner les intervenants. S’est-il basé, dans le saupoudrage nécessaire dans ce genre d’enquête sur les résultats de travaux sociologiques ou démographiques (3) ou a-t-il, au gré de ses propres connaissances, demandé à des amis ou des amis d’amis de répondre à des questionnaires ?. Car à lire les textes qui nous sont proposés, on est étonné du surdimensionnement des couples mixtes, des Juifs libéraux ou conservatives et des personnes qui se situent à gauche de l’échiquier politique avec, parfois, quelques piques anti-israéliennes. L’ensemble demeure toutefois très intéressant et, souvent, très émouvant. Certaines trajectoires sont exemplaires, telles celle de Jean-Jacques Wahl, qui fut longtemps le directeur général de l’Alliance Israélite Universelle. Natif de Metz, petit-fils d’un directeur d’école juive, mais dont les parents avaient déjà opté pour une vie traditionaliste tout en optant pour un sionisme farouche, c’est aux Éclaireurs Israélites, comme bien d’autres témoins, qu’il doit l’essentiel de sa formation et de ses motivations communautaires. « La transmission est souvent un phénomène collectif ; et l’influence des amis, des copains du mouvement de jeunesse, de ceux dont on se sent proche est primordiale ». Ses enfants ont reçu une éducation juive et israélienne. « Ils vivent aujourd’hui tous deux en Israël. J’y vois pour l’heure le bon choix. Je me sens très redevable à l’État d’Israël, qui offre à un jeune l’occasion de participer à l’une des plus belles aventures du monde contemporain ». Ou encore, celle de Claude Riveline, né en 1936 à Paris, polytechnicien, qui, entre l’École Polytechnique et sa vie juive, considère qu’il a réalisé le compromis impossible. Nous rappelant ce mot de Shimon Peres : « Pour les rabbins, un Juif est le fils d’une Juive. Pour moi, un Juif est le père d’un Juif », Riveline affirme que « chaque Juif possède tout le judaïsme » et que « le judaïsme n’est pas une religion, mais une condition pleinement humaine ».
Certains sont véritablement tourmentés. Dans ce cas, la transmission, quand elle réussit, relève du miracle. Ainsi de la vie incroyable de Charles Wasersztajn, né à Paris en 1940 de père et de mère juifs d’origine polonaise. La mère, délaissée par le père, abandonne l’enfant à l’Assistance Publique en le déclarant comme chrétien. Il deviendra enfant de chœur. Plus tard, pour le récupérer, elle obtient du père qu’il le reconnaisse, mais la procédure n’aboutit pas. Entre-temps la mère et le père sont raflés et assassinés à Auschwitz. L’enfant est recueilli par sa tante maternelle. De retour du service militaire, il épouse…une catholique issue d’une famille observante. Sa femme se convertit. Mariage à Copernic. Naissance d’un fils qui est circoncis. Puis d’une fille qui va s’impliquer dans des colonies juives de vacances. Mais, on le sait, pour le judaïsme consistorial, ils ne sont pas juifs. Qu’à cela ne tienne ! L’un et l’autre se « convertissent ». Le garçon est aujourd’hui très religieux et la fille a fait son alyah !
La question de la circoncision revient souvent chez certains témoins qui avouent leur répulsion devant cet acte jugé néanmoins nécessaire. Ainsi, par exemple, le docteur Marc Cohen, gériatre, qui, mettant l’accent sur « le caractère tribal, archaïque du rite », écrit : « Bien que médecin, j’ai trouvé cela barbare. J’ai compris à cet instant le choix chrétien qui vise à remplacer le rite par la parole ». Mais qui reconnaît, néanmoins que « ne pas circoncire ses fils, c’est les exclure de la communauté. Impossible ! ».
Les voies de la transmission sont impénétrables. Pour certains, elle passe, naturellement, par une pratique plus ou moins lâche de la religion : grandes et petites fêtes, observance du chabbat, pour d’autres par le sionisme et l’amour d’Israël, pour d’autres encore par la curiosité pour les langues comme le yiddish, le judéo-espagnol ou le judéo-arabe. Certains privilégient la cuisine, les cartes postales anciennes ou, tels Claude Wainstain, les timbres à thématique juive qui l’ont même conduit à écrire un ouvrage sur le sujet (4). « Ce livre, dit-il, est pour moi un acte de transmission ».
On regrettera, dans les récits de Juifs séfarades, l’absence de références détaillées au drame que fut le départ, souvent dans des conditions dramatiques, de leur terre ancestrale.
Certains témoins sont aujourd’hui des dirigeants du CRIF, telles Nathalie Cohen-Beizermann, membre du Bureau Exécutif et Edwige Elkaïm, membre du Comité Directeur.
Un livre d’une lecture très agréable et très sympathique.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions du Palio. Préface de Robert Mizrahi. Avant-propos de Marie-Françoise Bonicel. Post-propos de Claude Birman. Octobre 2008. 384 pages. 25 euros
(1) En terre d’islam, au cours des siècles, les Juifs étaient considérés comme des dhimmis, citoyens de seconde zone, assujettis à des impôts spécifiques et à des obligations méprisantes. En Russie, en 1827, sous le tsar Nicolas 1er, est édicté un décret de conscription obligatoire. Arrachés à leurs familles, dès l’âge de 8 ans pour un service militaire de 25 ans, plusieurs dizaines de milliers de jeunes Juifs, les « cantonistes », furent souvent contraints à la conversion à la chrétienté.
(2) Qu’on se souvienne du titre provocateur, mais prémonitoire de l’ouvrage de Georges Friedmann : « Fin du peuple juif ? » ( Éditions Gallimard, 1965)
(3) Tels les travaux de Sergio della Pergola et Doris Bensimon : « La population juive de France : socio-démographie et identité ». Éditions du CNRS. The Institute of Contemporary Jewry. The Hebrew University of Jerusalem. Jérusalem. 1984 ou d’Erik Cohen (Enquêtes réalisées en 1988 et 2002, notamment, pour le compte du FSJU)
(4) « Judéopostale. Timbres, lettres, courrier ». Éditions Biro. 2007. Voir notre recension du 16-01-2008.