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Publié le 8 Octobre 2007

Un Monde inachevé. Pour une liberté responsable Par Benjamin Gross (*)

Chaque nouvelle publication de Benjamin Gross est un événement. Ce véritable maître en spiritualité puise aux sources les plus diverses les éléments de son enseignement d’où la richesse et la profondeur de ses propos. « Un monde inachevé » se présente comme une juxtaposition de textes qui, au premier abord, peuvent sembler disparates, mais qui, en fin de lecture, témoigne d’une grande unité.


Benjamin Gross, qui se réfère, dans ses brillantes démonstrations, aux auteurs les plus divers, remontant aux périodes les plus lointaines de l’histoire humaine et aux traditions orientales comme occidentales, manifeste une préférence avouée pour le célèbre Maharal, le haut rabbin Loew de Prague, dont la pensée et les commentaires sont omniprésents dans les commentaires de Gross.
Le fond de la pensée de l’auteur est basé sur une constatation que d’aucuns partagent volontiers : le monde moderne est en crise. Une crise qui n’en finit pas de perdurer et qui risque de nous conduire à la catastrophe. « Les événements qui ont marqué le XXème siècle et continuent à influencer dramatiquement le début du XXIème ne sauraient se comprendre sans référence à une certaine idée de l’homme et des menaces qui pèsent sur son « humanité ». Car l’homme, désormais, fort de son savoir et du développement exponentiel de ses capacités techniques, revendique la capacité d’être le sujet de son être ». « Il se veut autonome, et refuse de recevoir ses normes de la nature des choses ou de Dieu ». Et c’est là tout le danger : cette prétention à la souveraineté absolue du sujet, cette tentation prométhéenne de l’homme moderne à prendre la place de Dieu, conduit immanquablement au désenchantement, au nivellement, au désarroi, à la stérilité et à l’assèchement de la pensée. En un mot, à la perte des repères. Il ne faut pas se faire d’illusions : « L’annonce de la mort de Dieu conduit immanquablement vers la mort de l’homme »
Face à ce danger pour l’avenir de l’homme, comment se situe le judaïsme et que peut-il proposer ? Car « ce n’est pas un hasard si la crise a touché de plein front d’abord les Juifs ». Pour Benno Gross, il semble acquis que le judaïsme sera amené à reformuler ses propres valeurs. Tout en demeurant lui-même. En effet, « La conception paradoxale du judaïsme, qui affirme, d’une part, la nature créaturielle de l’homme et, d’autre part, son absolue liberté et sa totale responsabilité nous est apparue, à la lumière de l’approfondissement des textes, comme le seul système spirituel de l’humanité à donner à l’action humaine, en union avec l’action divine, une place centrale dans le cours des événements ».
L’ouvrage comporte trois parties. Dans la première, l’ « universel humain » est analysé. Et si Spinoza, Kant, Hegel, Levinas ou Sartre, sont appelés, parmi des dizaines d’autres, à s’exprimer le Maharal, on l’a dit, est fortement sollicité pour tenter de répondre à des questions simples, mais aussi très profondes : qu’est-ce que la honte, quelle est sa valeur morale, que penser de l’effronterie, de l’intégrité, de la droiture, de la vérité, des vêtements du corps et de l’âme et, bien sûr, de cette voie médiane, chère à l’auteur, la emtsa. Ou encore quel est le sens de la mort et pourquoi a-t-on imaginé l’idée de sépultures pour les défunts ? Cité par le Maharal, le Talmud (Traité Yebamot 79a) nous dit, à propos du peuple juif : « Trois signes caractérisent cette nation : ils sont miséricordieux, sensibles à la honte, généreux. Tous ceux qui partagent ces qualité méritent de se joindre à eux, et tous ceux qui en sont dépourvus ne peuvent s’unir à eux ». Et, comme en écho, cette analyse qui se base notamment sur la lecture des Psaumes : « Quatre types d’homme ne voient point la face de Dieu : les moqueurs, les menteurs, les flatteurs et les médisants ».
Dans la seconde partie, l’auteur se penche sur les problèmes d’éducation. Gross s’étonne, à juste titre, de l’absence d’une doctrine philosophique de l’éducation dans les sources traditionnelles juives. Et il propose cette réponse : « Si le judaïsme n’a pas élaboré une philosophie de l’éducation, c’est qu’il est en lui-même éducation ». Qui plus est, l’éducation juive comporte une finalité supplémentaire, la dimension historique. Certes, mais l’auteur se contente d’aborder l’éducation religieuse et morale. A part une vague référence aux ordinateurs, tout le pan des études profanes, littéraires, linguistiques, scientifiques, techniques, ce qu’on appelle le khol en opposition au kodesh, dans nos écoles juives est délaissé. Or il sera, à l’avenir, l’outil de base du progrès.
Dans la troisième partie, enfin, « Le peuple juif et le judaïsme dans la tourmente », l’apport du monothéisme hébraïque est analysé dans un contexte actuel face à la création de l’Europe dont l’idée, selon Gross, remonte à 1492, à la mondialisation, à l’émergence d’un « impérialisme islamique » avec, en toile de fond, le miracle de la renaissance d’un Etat juif.
« Y a-t-il une période de transition plus évidente que la nôtre, après Auschwitz et la renaissance de l’Etat d’Israël ? Nous sommes à la charnière d’une mutation d’identité qui porte peut-être en elle, si nous savons, dans le passage, renouveler l’héritage tout en lui restant fidèles, des promesses inouïes pour l’avenir d’Israël et de l’humanité ».
Pour Benjamin Gross, « le judaïsme, tout en confirmant sa présence active dans le monde et sa participation à l’avènement d’une ère de liberté pour l’homme, ne peut se couper de tout souci de transcendance sans prendre le risque de disparaître ».
Intéressant et enrichissant.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Albin Michel. Septembre 2007. 288 pages. 22€