English
Français
Max Schultz est un Allemand « de souche », bâtard battu par son beau-père qui se moque de son « nez de juif » (première trahison des apparences…). Dans son enfance, il trouve refuge et affection chez son copain de classe Itzig Finkelstein, un « vrai » juif malgré son physique d’aryen ; un ami idéal qui le laisse copier sur lui pendant les contrôles, lui enseigne le yiddish, et dont les parents l’accueillent en apprentissage dans leur salon de coiffure (premiers dédoublements). Assoiffé de violence à cause des viols que son beau-père a commis sur lui, il se laisse ensuite fasciner par Hitler, et devient « assassin de masse » : membre actif des commandos de la Shoah « par balles ». Accueillant par hasard les parents d’Itzig dans un camp de concentration, il les tuera de sang-froid juste pour « jouer » les durs à cuir devant ses camarades nazis. Mais après la guerre, il s’empresse de devenir juif, mettant en avant sa connaissance du yiddish, et s’avançant masqué derrière le nom d’Ytzig, exterminé comme ses parents. Fort des leçons de coiffure dispensées par les Finkelstein dans son enfance, il ouvrira à Tel-Aviv un salon de coiffure très prisé, portant la même enseigne que celui du couple juif avant la guerre : « L’homme du monde ».
Tous ces revirements, Max Schultz semble les accomplir avec l’insouciance d’un comédien qui changerait de costume, et c’est précisément ce que fait David Nathanson sur scène : se métamorphoser « à vue ». En cela, il rappelle au public que c’est de son regard que dépendent les métamorphoses les plus effroyables : avoir tantôt l’allure d’un petit Allemand inoffensif, tantôt celle d’un nazi sanguinaire, puis celle d’un bon barbier juif, « héros » de la guerre d’indépendance en Israël... Le comédien effectue toutes ces mues avec une maîtrise impressionnante, faite de ruptures de ton, évidemment, mais aussi de ruptures de jeu, ce qui est beaucoup plus fort. Au début du spectacle, il ose une outrance et une vulgarité si dérangeantes (pour raconter l’enfance du futur nazi) qu’on se demande ce que c’est que ce spectacle qui en fait « tellement ». Et puis très vite, on comprend que le « trop » fait partie de l’expérience à vivre, pour l’acteur comme pour le public. Car c’est bien l’expérience de spectateur qu’il s’agit d’interroger tout au long de cette histoire où le regard des autres aura tant compté. « T’étais où ? » pendant les massacres, demandera Schultz à « Dieu » vers la fin du spectacle, pour s’entendre répondre : « j’étais spectateur ». À la fois présent et passif ? Est-ce cela que suggère l’auteur du roman à travers cette image du spectateur ? Au théâtre, le mot résonne tout autrement : non pas comme un synonyme de passivité, mais comme une interpellation du public, et donc une reconnaissance de sa part active dans l’histoire.
Le Nazi et le Barbier, un spectacle de David Nathanson mis en scène par Tatiana Werner, à la Manufacture des Abbesses (Paris 18e) jusqu’au 15 juin 2013.
7, rue Véron - 75018 Paris
01 42 33 42 03
www.manufacturedesabbesses.com/
Source : http://theatre.blog.lemonde.fr/