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Publié le 16 Avril 2013

Lucek, un juif à Shanghai 1941-1946, par Sylvie Ramir (*)

 

C'est pour notre plus grand plaisir que l'auteur retrace l'épopée de ceux qui, par milliers, dans les années quarante, à l'heure où le monde s'embrasait dans un terrible conflit planétaire et où l'idéologie nazie s'abattait sur l'Europe, trouvèrent refuge à Shanghai. Elle le fait à travers l'odyssée de l'un des rares témoins de l'époque encore vivants, Lucjan Kalmanowicz, dit Lucek.

 

Avant que la folie hitlérienne ne s'abatte sur l'Europe, les Kalmanowicz, famille juive intégrée à la bourgeoisie polonaise, vivaient à Włocławek, petite ville de Poméranie, au bord de la Vistule. Herman Kalmanowicz, le chef de famille, exploitait une entreprise de fabrication de papier d'emballage. Son épouse, Dora, aidée de son personnel de service, avait la charge du foyer : deux garçons Fredek et Lucek et une fille, Janina, dont on s'apprêtait à fêter le mariage. L'invasion de l'ouest de la Pologne par l'Allemagne, tandis que son alliée soviétique s'empare de la partie est, va bouleverser la vie de la famille Kalmanowicz et celle de tout un continent. Il faut fuir, mais où aller. On se décide pour Wilno, c'est-à-dire Vilnius, en Lituanie où vit l'oncle Jakub. Dix-sept jours d'un voyage harassant. Avec la rupture du pacte germano-soviétique, Vilnius n'est plus, désormais qu'une étape. Les Juifs cherchent à rejoindre les États-Unis ou la Palestine. Certains font appel au vice-consul japonais, Senpo Chiune Sugihara pour un visa de complaisance de transit par le Japon pour rejoindre Curaçao, territoire alors libre d'accès.

 

Et c'est ainsi que Lucek va se retrouver à Shanghai, en compagnie des étudiants de la fameuse yeshiva de Mir, du rabbin Zerach Wahraftig, futur ministre israélien, en direction de Vladivostok, de Kobe puis de Shanghai. Sa route va croiser celle d'Heniek Praszkier (1) qui sera l'un de ses trois tuteurs et à qui son père confiera une forte somme qui permettra à Lucek de tenir de longs mois d'exil.

 

Ville chinoise, occupée par le Japon, Shanghai comporte alors des zones franches, la concession française et la concession internationale. On découvre, au fil des pages, la vie animée de cette ville interlope avec ses cabarets, ses restaurants, ses petits et grands trafics, son esprit colonial, sa société de castes, ses rickshaws, sa grandeur et ses misères.

 

Il faudra attendre le 8 juin 1947 pour que Lucek, embarquant sur le Champollion, quitte Shanghai pour toujours.

 

Un beau cahier iconographique agrémente ce livre très intéressant. À découvrir.

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Bayard. Février 2013. 204 pages. 18 euros.

(1) Le père du président du CRIF, Richard Prasquier, Julek Praszkier, était lui-même originaire de Włocławek