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Par Michaël de Saint-Cheron, Philosophe des religions, publié dans le Huffington Post le 11 février 2015
En décembre dernier, en son musée de Rodez, inauguré en mai 2014 en présence du Président de la République, je rencontrais pour la première fois le grand peintre Pierre Soulages, grand par l'œuvre, grand par la taille, grand par l'âge, avec ses 95 ans qu'il porte de façon imposante, mais dans une vraie simplicité. Il a connu de près ou de loin, ses contemporains majeurs, en peinture d'abord.
Né à Rodez le 24 décembre 1919, il débarque à Paris en 1946 avec sa valise et ses pinceaux. "Comme un immigré de l'intérieur" me dira-t-il dans son atelier parisien, où il me reçoit le lundi 9 février 2015. Il incarne aujourd'hui, presque seul, tout l'art du XXe siècle et demeure en France l'un des rares qui a son propre musée, lequel a reçu dès sa construction le label "Musée de France" (en 2004). Rencontrer Soulages en son atelier est une chance, un privilège. Notre discussion passionnée autour de l'art, de sa création, de ses vitraux de Conques, de ses projets avortés, mais aussi des tragédies toutes récentes et quotidiennes qui se passent dans le monde, jusqu'à la remontée de l'antisémitisme et la question de la transcendance, fut de celles qui élèvent dans la simplicité du dialogue, de l'échange…
Écoutons-le. "L'outrenoir provient d'un développement. Je peignais une nuit et je continuais à travailler malgré mon désespoir de ne pas trouver ce que je cherchais. Quelque chose de plus fort en moi que l'intention que j'avais. Je suis allé dormir. Après une ou deux heures, je me suis levé et je suis retourné voir ce que j'avais fait. Alors je me suis aperçu que la matière que j'utilisais, ce n'était plus du noir. Ce n'était pas le noir. La matière que j'utilisais, c'était la lumière. La lumière, elle réfléchit le noir. Ma peinture, ce n'est pas ce qu'on croit voir: c'est la lumière. Si on voit ça noir, c'est qu'on a le ventre à la tête. Si on regarde avec les yeux, on s'aperçoit que ce n'est pas noir…"
Je ne voulais pas quitter Soulages sans qu'il me dise comment il avait vécu la tragédie de Charlie Hebdo, car il est d'abord peintre. "L'horreur. C'est l'horreur, mais pendant cette horreur-là, il y en a une autre que l'on oubliait. Pendant que l'on tuait 17 personnes à Paris, on tuait 300, 400 Africains, Syriens, le même jour, pour les mêmes raisons. Il fallait faire ce que l'on a fait. C'est magnifique que les Français se soient retrouvés dans une manifestation. Mais il ne faut pas oublier que le même jour, des centaines d'autres tombaient." Puis, revenant sur Charlie Hebdo, Soulages affine sa pensée en abordant la question de l'antisémitisme: "c'est une atteinte à la liberté d'expression. Bien sûr, pour moi c'est l'horreur, mais la vie humaine a la même valeur à Paris qu'en Afrique ou en Syrie. Pour nous qui avons vécu la Shoah, c'est encore plus brûlant."
Puis, on en vient à parler de l'anniversaire de la libération des camps, et il évoque un poème lu la veille de la poétesse Sylviane Dupuis, Poème de la méthode (éditions Empreintes, Genève) et en particulier sa tabula rasa. Je sens Soulages bouleversé, remué au plus profond par ces poèmes sur les camps nazis. Enfin, il m'interroge s'interrogeant lui-même à voix haute: "vous mettez le doigt sur quelque chose qui me tracasse aussi, parce que je sens une remontée de l'antisémitisme ici aussi. Inexplicablement. Je voudrais savoir pourquoi. Quelles sont les explications que vous trouvez?" m'interroge-t-il… Lire l’intégralité.
http://www.huffingtonpost.fr/michael-de-saintcheron/visite-soulages-peintre-art-musee_b_6658584.html