A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 4 Octobre 2012

Voyage au bout de l’ennui

« Alyah », d’Elie Wajeman avec Pio Marmaï, Cédric Kahn et Adèle Haenel

Une recension de Stéphanie Dassa

 

Le vice du jeu c’est de rejouer quand on perd. Et toujours avec les mêmes partenaires. L’existence d’Alex Raphaëlson campe en recul comme un de ces curieux autour des tables de tripot, amateurs d’émotions par procuration. Elle regarde puis assouvie, elle s’en va. Toute la nuit puis tout le jour, Alex Raphaëlson augmente la mise pour compenser la perte : il deale. Alyah, le long métrage d’Élie Wajeman n’est ni une satire sociale, ni un thriller, ni une allégorie sioniste. C’est un voyage. Un voyage au bout de l’ennui.

« Si je veux vivre je dois renaître » écrivait à 34 ans le leader sioniste Zeev Vladimir Jabotinsky, épurant par ces mots lapidaires le sionisme de sa dimension collective et politique, le « nous », pour la serrer au plus près de ce qu’elle contient ; son combat acharné contre le déterminisme, le « je » envers et contre tous.

 

Un soir de shabbat bancal- entendez un shabbat où l’on fume après dîner- chez une tante inquiète, de celles qui vous reprochent de ne pas vous voir assez, mais précisément le soir où vous êtes là, Alex Raphaëlson jette à son cousin israélien : « Emmène-moi avec toi ». Plus rien à perdre donc… Plus rien à miser non plus peut-être. Le nouveau deal, honnête celui-ci, consiste à investir 15 000 euros dans un restaurant en rénovation à Tel-Aviv.

 

Mais Alex Raphaëlson connait-il Tel-Aviv ? Non. Est-il déjà allé en Israël ? Possible, mais pas à l’âge adulte, jamais de son plein gré. Y a-t-il de la famille ? Pas vraiment. Sait-il parler hébreu ? Pas un mot. Connait-il le cheminement de l’olé hadash (nouvel immigrant), ses droits et ses devoirs ? Pas plus que le reste. Possède-t-il seulement les 15 000 euros ? Non, mais il sait comment les trouver…

 

Quel est le sens de cette Alyah ?

 

Coincé dans une vie étriquée entre un frère incapable, menteur et dangereux avec qui il s’applique pourtant à maintenir une relation d’aspect fraternel, mais qui est en vérité une relation de soumission, une ex-fiancée impérieuse et exaspérante qu’il a quittée (et on se dit qu’il a bien fait), un père désinvolte et une mère morte ; Alex Raphaëlson emprunte aux mots de Jabotinsky leur portée révolutionnaire, l’idée d’une renaissance hors du champ clos de la communauté.

 

Peut-on renaître dans la rupture ? Assurément. Le récit biblique du cheminement solitaire d’Abraham vers Canaan et le monothéisme, les mots de Ruth à sa belle-mère Naomi, « Ne me presse pas de retourner d’où je viens, là où tu iras j’irai » sont autant d’enseignements plaidant en faveur d’un possible, ailleurs et autrement.

 

Le film d’Élie Wajman manquerait son objet sans la figure de la belle Jeanne ; Jeanne comme une interférence dans la vie d’Alex Raphaëlson. Peut-on renaître dans l’amour ? Dans l’éros peut-être moins que dans la philia et l’agapé…Jeanne au visage de madone diaphane sourit et toute la puissance de sa beauté n’est rien face au tourment de celui qu’elle commence à aimer. Elle rit avec lui, mais sous son rire rougeoient les signaux de détresse d’une solitude annoncée. Leur ultime face à face dans un café parisien est pétri de connivence, mais tout dans leur échange demeure fragile comme la porcelaine.

 

Les formalités administratives remplies auprès de l’agence juive ; Alex s’est arraché de la table de jeu, s’est levé et est parti avec celle qui l’attend depuis toujours. Et sous son poids seulement, elle a pris corps :

 

L’Alyah c’est d’abord l’union d’Alex Raphaëlson et de son existence. Tout le reste n’est que commentaire.

 

Stéphanie Dassa