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Publié le 23 février dans RTBF
Des nez crochus et des corps de fourmis pour ces personnages en habits hassidiques. Elles dansent au pied d'un mur (des lamentations?) en or. Un peu plus loin, un défilé de faux officiers de la gestapo aux nattes orange. Des étoiles de David sur des poupées israélites qui ferment les yeux, se taisent et bouchent leurs oreilles.
Le tollé est général et même mondial. La Commission européenne condamne fermement et demande à la Belgique de "prendre les mesures qui s’imposent". Le bourgmestre N-VA Christoph D’Haese défie les réactions internationales et défend son carnaval contre toute tentative de censure, selon lui.
Le nationaliste flamand provoque et demande que la manifestation ne soit plus reconnue par l’Unesco. Le mois suivant, le carnaval perd officiellement sa reconnaissance. Inscrit depuis 2010 au patrimoine culturel et immatériel de l’humanité, l’événement ne remplit plus certains critères parce que diffusant des messages "ridiculisant certains groupes", "insultant les souvenirs d’expériences historiques douloureuses" ainsi que des "représentations blessantes".
UNIA tente de jouer les médiateurs entre les parties. Mais cela ne fonctionne pas. Un carnaval "est, par essence, un lieu d’autodérision, de satire, un outil de critique sociale. Impossible donc d’éviter les stéréotypes, les clichés et les généralisations", expliquait à l’époque UNIA qui disait également regretter les stéréotypes et les généralisations.
Le dimanche 23 février 2020, alors que la pandémie de coronavirus est à nos portes, le carnaval a bien lieu malgré la demande d'annulation formulée par le gouvernement israélien. L'édition 2020 promet d’être une réponse à la polémique de l’année précédente. C’est le cas. Aux côtés des caricatures de Boris Johnson, de la reine Elisabeth d’Angleterre, Paul Magnette ou encore Bart De Wever, on aperçoit donc des juifs en schtreimel aux corps de fourmis, de raz et des références à l’Unesco qui aurait cédé sous la pression du "lobby juif". Les communiqués de condamnations se multiplient.
La Première ministre Sophie Wilmès (MR) parle "de stéréotypes, de référents stigmatisant des communautés, des groupes humains sur base de leurs origines" qui conduisent "aux divisions" et mettent "en péril le vivre ensemble". Le bourgmestre PS de Bruxelles Philippe Close parle d’une "image calamiteuse de la Belgique et de la Flandre. L’humour de certains reste incompréhensible".
"Ce serait un nouveau signal inquiétant"
Le bourgmestre alostois répond : "J’ai essayé d’éviter l’escalade ces derniers jours. Il y avait de l’animosité, mais les parodies ne peuvent pas être taxées d’antisémites."
En tout cas, UNIA reçoit plus de 27 signalements et les transmet au parquet de Termonde, lequel a décidé d’ouvrir une enquête. La communauté juive espère que celle-ci n’accouchera pas d’un non-lieu. Le CCOJB qui avait décidé à l’époque de ne pas porter plainte, le regretterait.
"Ce serait un nouveau signal inquiétant. Après l’insulte, l’injure", réagit Yohan Benizri, président. "De plus en plus de signaux font qu’il ne fait pas bon vivre en tant que juifs en Belgique. Quand un certain nombre de signaux qui se superposent, et pas tous antisémites, rendent la vie d’une minorité de plus en plus compliquée à supporter, parce qu’on ne se sent pas protégés, c’est un problème."
Un an après, Joël Rubinfeld, de la LBCA, Ligue belge contre l'antisémitisme, présent à Alost en 2020 pour constater les chars litigieux, évoque un "grand gâchis". "Quelle attention la justice accordera à ce dossier? Ici, nous sommes dans un contexte de carnaval avec une satire inhérente. Alost est un monument et les carnavalistes concernés pourront se retrancher derrière le second degré. Et quand bien même le dossier judiciaire suit son cours et qu'au final une sanction est prononcée, ce sera du lose-lose. Je ne vois aucune manière de sortir par le haut."
"On peut rire des juifs, mais pas inciter à la haine"
L'affrontement et l'incompréhension ont été régulièrement au rendez-vous, rappelle le président de la LBCA. "Le retrait de la reconnaissance par l'Unesco a suscité une vive réaction. Il y a eu un sentiment revanchard, une forme d'impunité avec le soutien politique du bourgmestre d'Alost. En 2019, un seul char était problématique. En 2020, j'en ai constatés sept ou huit. Nous étions dans la surenchère."
"Oui, on peut rire des juifs. Mais on ne peut pas inciter à la haine des juifs. Pourtant, c'est ce qui s'est passé à Alost il y a un an", estime Joël Rubinfeld. "Malheureusement, sur les 140 chars et troupes bon enfant, on ne retiendra que ceux qui incitaient à la haine. Pourquoi ces clichés? Pourquoi rajouter des nez crochus, l'argent, des lingots d'or et des juifs en fourmis ou en rats? Certaines personnes à Alost ne se rendent pas compte de qu’elles font, malgré les réactions, les alertes, la couverture médiatique... Et derrière cela, il y a la responsabilité accablante d'un bourgmestre. L'histoire retiendra qu'il a autorisé ces multiples dérives antisémites sans prendre la moindre distance."
Le carnaval d’Alost programmé le 14 février dernier n’a pas eu lieu en raison de la crise sanitaire. Le prochain s'élancera dans 368 jours, les 27 et 28 février, ainsi que le 1er mars 2022.